Depuis l'affaire Skripal, le GRU, service de renseignement militaire russe jusqu'alors méconnu, est sur toutes les lèvres. Mais c'est aussi parce que ses agents, de Salisbury à La Haye n'ont pas toujours fait dans la discrétion.
Les touristes de Salisbury
Début septembre, plus de six mois après l'empoisonnement de Sergueï Skripal et de sa fille dans le sud-est de l'Angleterre, Londres révèle le nom sous lequel les deux hommes accusés d'avoir voulu les empoisonner sont entrés au Royaume-Uni : Alexandre Petrov et Rouslan Bochirov.
La police britannique précise qu'il s'agit probablement de noms d'emprunt mais les deux hommes se manifestent une semaine plus tard. Sur la télévision russe RT, ils expliquent avoir visité l'Angleterre en touristes et s'être rendu à Salisbury, deux fois en 48 heures, pour y «visiter la célèbre cathédrale». «Nos amis nous avaient suggéré depuis longtemps de visiter cette ville fabuleuse», ajoutent-ils. Mais personne ne trouve la moindre trace de leurs amis, ni d'une quelconque entreprise enregistrée à leur nom alors que les deux «amis» disent voyager fréquemment en Europe pour leurs affaires «dans le business du fitness». Et l'absence des deux hommes sur les réseaux sociaux intrigue.
C'est justement grâce à des photos et messages laissés imprudemment par des soldats russes sur les réseaux sociaux que de nombreux médias ont accusé la Russie d'avoir envoyé des troupes dans l'est de l'Ukraine, en 2014, et certains ont peut-être retenu la leçon.
A La Haye, une avalanche de preuves
Les autorités néerlandaises ont retracé en détail le déroulement de la tentative de piratage de l'Organisation internationale pour l'interdiction des armes chimiques (OIAC), en avril. Les quatre espions du GRU ont été accueillis à Amsterdam par un représentant de l'ambassade russe. Les passeports de deux d'entre eux appartiennent à la même série, ce qui avait déjà été observé dans le cas des deux «touristes» de Salisbury.
Immédiatement identifiés, ils sont cueillis près du siège de l'OIAC après avoir été surveillés pendant plusieurs jours. Les quatre hommes ont pris une chambre à l'hôtel Marriott, près du siège de l'OIAC. Dans la voiture qu'ils ont louée, des équipements électroniques sont retrouvés, ainsi que 40.000 euros, 20.000 dollars et plusieurs téléphones portables.
Les enquêteurs déterminent que l'un d'eux a été activé le 9 avril à Moscou, près du QG du GRU. Pire encore, une facture de taxi pour une course allant d'un site du renseignement militaire russe à Moscou jusqu'à l'aéroport moscovite de Cheremetievo est retrouvée dans leurs affaires.
A la différence des deux suspects de l'affaire Skripal, les quatre hommes identifiés par La Haye ont laissé quelques traces sur Internet. Un collaborateur du site d'investigation Bellingcat assure avoir retrouvé le profil de l'un d'eux sur un site de rencontres en ligne, et un autre aurait créé un profil sur un site de football amateur.
Croisant les données de leurs passeports avec une base de données de la police des transports, facilement trouvable sur le marché noir, Bellingcat assure que l'un d'entre eux a enregistré son véhicule à une adresse du GRU. Pire, selon le site britannique, 305 autres personnes auraient fait la même chose. Une telle pratique est le signe «d'une incompétence notoire» et d'une «banale corruption», a asséné sur Twitter Alexandre Gabouïev, un analyste du centre Carnegie de Moscou, suggérant que l'objectif était tout simplement d'éviter de payer des amendes pour infraction au code de la route.
Un amateurisme trop évident ?
Trop évidentes, ces preuves suscitent parfois le sarcasme en Russie. Comme à son habitude, Moscou a répondu par l'ironie aux accusations de La Haye, affirmant que «dans la logique des politiciens occidentaux, n'importe quel citoyen de la 'Russie arriérée' et possédant un téléphone portable est vu comme un espion».
Ces erreurs peuvent sembler incompréhensibles aux yeux des Russes, habitués à entendre les récits des exploits de leurs agents secrets, explique à l'AFP l'analyste militaire Alexandre Golts. Mais pour lui, un «travail aussi bâclé fait également partie de la réalité».
Les erreurs du GRU ne sont pas nouvelles, assure-t-il en précisant cependant : «Il y a toujours des bourdes quand le facteur humain entre en compte. Et les services occidentaux en font aussi un certain nombre».