Les Brésiliens votent le 7 octobre pour le premier tour de la présidentielle, un scrutin extrêmement polarisé qui pourrait voir, pour la première fois, un candidat d'extrême droite arriver en tête dans le plus grand pays d'Amérique latine.
Jair Bolsonaro, apologue de la dictature (1964-85) et de ses tortionnaires, devrait, si les sondages disent vrai, devancer le candidat du Parti des travailleurs (PT) de gauche, Fernando Haddad, remplaçant de l'ex-président Lula.
Quelque 147 millions de Brésiliens doivent choisir le successeur du conservateur Michel Temer qui aura pour défi titanesque d'extraire le pays de l'ornière économique - 23 millions de pauvres, 13 millions de chômeurs-, de réduire une violence digne d'un pays en guerre et de restaurer la confiance du peuple dans des élites politiques corrompues.
Cette élection mérite déjà la palme de la plus surréaliste des temps modernes.
Depuis janvier, le Brésil a vécu au rythme de la saga rocambolesque des rebondissements politico-judiciaires concernant Lula.
Avec 39% des intentions de vote, Luiz Inacio Lula da Silva était quasiment assuré d'être élu pour un troisième mandat. Mais l'ex-président (2002-2010), qui purge depuis avril une peine de plus de 12 ans de prison pour corruption, a été jugé en août inéligible par la justice électorale.
C'est seulement le 11 septembre que son remplaçant, Fernando Haddad, 55 ans, est entré dans l'arène. Cet ex-maire de Sao Paulo quasi inconnu dans le pays a dû prendre en marche le train de la campagne, quatre semaines seulement avant le 1er tour.
«Ce serait le chaos»
Autre soubresaut dans cette campagne inédite : l'attentat, le 6 septembre, contre Bolsonaro a glacé le pays.
D'un violent coup de couteau à l'abdomen, un ex-militant de gauche a expédié le candidat de 63 ans du Parti social libéral (PSl) à l'hôpital, dont il n'est sorti que samedi, le privant de la suite de sa campagne.
Mais alors que sa douzaine de concurrents marquaient une trêve dans les hostilités, l'ex-capitaine de l'armée apparaissait sur Instagram dès le lendemain de l'opération lui ayant sauvé la vie, mimant une arme avec ses doigts.
La perspective d'une arrivée au pouvoir au Brésil d'un candidat glorifiant la dictature et insultant Noirs, femmes et homosexuels, a provoqué l'alarme dans la société civile, et notamment parmi les femmes, descendues en masse samedi dans les rues de 40 villes brésiliennes.
Si Bolsonaro l'emportait, «ce serait un chaos total», a déclaré à l'AFP Joao Feres, politologue de l'Institut des études politiques et sociales de Rio. «Nous sommes confrontés à une sérieuse menace contre la démocratie.»
Epargné par les scandales de corruption, Bolsonaro tire sa force de sa posture antisystème et du «dégagisme» qui monte au Brésil comme ailleurs. «Ce vote pro-Bolsonaro que vous trouverez dans chaque classe sociale est un vote de rejet de la politique institutionnelle», estime Joao Feres.
Avec des recettes simples comme la libéralisation du port d'armes ou la castration chimique des violeurs, il prétend régler les problèmes de violence au Brésil.
«Bolsonaro est la personne la plus capable pour prendre les rênes du pays. On a besoin de quelqu'un qui prenne des mesures radicales», assure Carlos Alberto da Silva, chauffeur de taxi de Rio.
Mais, à l'heure où le réal a été malmené par l'incertitude pré-électorale, les marchés sont nerveux face au duel qui se profile pour le 2e tour du 28 octobre et qui est loin de garantir la poursuite de la politique d'austérité indispensable au redressement du Brésil.
Scrutin imprévisible
Paradoxe de cette élection, les deux candidats les mieux placés sont aussi ceux que l'électorat rejette le plus : à environ 46% pour Bolsonaro et 30% pour Haddad.
Ce n'est pas le cas de Ciro Gomes (PDT, centre gauche) ni de Geraldo Alckmin (PSDB - centre droit) ou Marina Silva (Rede, écologiste) mais ces trois candidats ont été distancés au fil des semaines.
Il reste que l'issue du scrutin paraît hautement imprévisible. Bolsonaro a déjà averti que seule «une fraude» permettrait l'élection de Haddad et a menacé de ne pas reconnaître le résultat des élections.
Autre perspective inquiétante dans un climat politique déjà délétère : une fois élu, Bolsonaro, comme Haddad, se heurtera à un Parlement hostile où les nécessaires alliances pour gouverner seront extrêmement difficiles à nouer.
Cette campagne a été la première placée sous l'influence, considérable et toxique, des réseaux sociaux. Edifiant : plus de 40% des internautes ont répercuté sur Twitter l'allégation d'une mise en scène de l'attentat contre Bolsonaro.