L'habituelle ambiance festive et glamour de la Fashion Week milanaise a été ternie vendredi par une enquête du New York Times sur des couturières sous-payées dans les Pouilles (sud) fabriquant des vêtements pour de grandes enseignes italiennes.
L'enquête du quotidien américain démarre dans la petite ville de Santeramo in Colle, dans la province de Bari, où le journal a rencontré une femme (dont l'identité n'est pas révélée) qui dit coudre pour 10 euros par jour des vêtements de la marque de prêt-à-porter MaxMara, laquelle commercialise ensuite ces pièces entre 800 et 2.000 euros l'unité. La femme confie avoir atteint un maximum de 24 euros dans une journée pour confectionner un manteau, le tout au noir, donc sans assurance ni couverture sociale.
«phénomène à la marge»
Des conditions de travail que l'on rencontre «au Bangladesh, au Vietnam ou en Chine», écrit le quotidien américain, assurant pouvoir prouver «qu'une soixantaine de couturières travaillent à domicile et sans contrat de travail» dans la seule région des Pouilles. Dans certains cas, le tarif horaire ne dépasse par les 3 euros. Citant l'ouvrage de la sociologue Tania Toffanin, «Fabbriche Invisibili» («Usines invisibles»), qui traite du travail des femmes à domicile, le quotidien estime que 2 à 4.000 personnes sont concernées par le phénomène dans le secteur du vêtement en Italie. La Chambre nationale de la mode italienne (CNMI) a cependant fait valoir que cette statistique, la seule récente, devait être placée «dans le contexte d'une grande industrie qui emploie 620.000 personnes dans 67.000 entreprises».
Autour des podiums de la Fashion Week vendredi à Milan, l'enquête du New York Times a été largement commentée par les professionnels, dont beaucoup ont estimé qu'elle portait injustement atteinte à la florissante industrie du luxe et, par ricochet, au sacrosaint «Made in Italy». Pour le président de la CNMI, Carlo Capasa, il s'agit là «attaques honteuses et instrumentalisées».
Selon M. Capasa, le problème qui émerge de l'enquête est celui de la sous-traitance, «phénomène à la marge mais néanmoins grave qui échappe au contrôle des maisons de couture et que l'industrie a l'intention d'éradiquer», a-t-il déclaré à l'AFP. Selon lui, «les entreprises du luxe sont les plus actives dans la lutte contre ce phénomène».
Le «faire-faire»
Miucci Prada, patronne de la griffe séculaire qui porte son nom et petite-fille de son fondateur, assure que les maisons de mode italiennes disposent de garde-fous, «toutes les entreprises s'étant dotées de codes et d'inspecteurs». «Mais le monde réel est plus complexe et il y aura toujours quelqu'un pour se laisser corrompre», a-t-elle admis.
Selon l'Institut italien de la statistique (Istat), 3,7 millions de personnes, tous secteurs confondus, travaillaient sans contrat en Italie en 2015. Pour certains représentants syndicaux, la polémique sur les conditions de travail dans la mode est liée à la pression exercée sur le secteur par les pays asiatiques, où la main d'oeuvre est moins chère. «C'est la tyrannie du choix du consommateur qui pousse les entreprises du secteur à chercher des solutions moins onéreuses pour être compétitives, en particulier contre l'Asie qui produit à bas coût», a expliqué à l'AFP Roberto Manzoni, président de la Fédération Italienne du Secteur Mode.
«C'est dans l'économie, à l'achat du consommateur, que se cache l'exploitation», a ajouté l'expert pour qui «on est passé du savoir-faire au faire-faire». Particulièrement florissante ces dernières années, l'industrie textile italienne a enregistré une croissance de 2,4% en 2017, pour atteindre un chiffre d’affaires sectoriel de 54,1 milliards d’euros.