Malgré l'orage et son déluge, Norma se rend comme chaque jour près des voies ferrées, des sacs de nourriture et des bouteilles d'eau à la main.
Dans quelques minutes près de trois cents migrants agrippés à un train de marchandises vont traverser de nuit son village en direction des Etats-Unis.
Elle fait partie des douze femmes qui leur distribuent de la nourriture sur leur trajet mexicain, aidées par des volontaires occasionnels.
Durant des années, elle a pensé que ces hommes étaient des Mexicains cherchant à se déplacer à peu de frais. Mais un jour, la «Bestia» a dû s'immobiliser sur les voies, et ces hommes lui ont demandé de l'aide.
«Ils avaient un accent d'Amérique centrale», se souvient Norma Romero, 48 ans. «Ils m'ont demandé de leur donner mon pain et le lait que je rapportais des courses, ils avaient faim».
Revenue chez elle, elle a raconté l'incident à sa mère qui a aussitôt décidé d'agir et de préparer à manger pour ces voyageurs fuyant la pauvreté.
Depuis vingt-trois ans, chaque jour, ces douze «apôtres» leur viennent désormais en aide, tendant aux migrants des provisions qu'elles ont préparées durant la journée.
Le train apparaît soudain dans la nuit, des grappes de migrants se dessinent sur les wagons. Moment de tension pour ces volontaires.
Les migrants se penchent dangereusement pour tenter de saisir à la volée les sacs qu'on leur tend, certains descendent et courent le long du train. Puis ces silhouettes s'éloignent dans l'obscurité. Des cris «Mexico !», «gracias Madre !» fusent au loin.
«On se sent à la fois contente de les voir poursuivre leur voyage avec de la nourriture, mais aussi triste» commente Julia, 44 ans, veuve, tout comme Norma. «Il y a de la colère à voir ces jeunes, qui ont du talent, quitter leur pays, et prendre des risques, c'est injuste», enrage Norma, tout en essuyant ses larmes.
Certains migrants sont mutilés par les roues du train en cherchant à monter à bord, ou parfois s'endorment, épuisés, et tombent sur les rails.
Ils sont aussi régulièrement la cible de groupes criminels, voire de policiers, qui les rackettent et parfois les tuent.
L'Etat du Veracruz, où se trouve las Patronas, est l'un des plus dangereux du Mexique.
«Les criminels nous attaquent parfois dans les tunnels», indique David, un migrant de 23 ans qui voyage sur la Bestia, la peur au ventre.
Nourriture et brochures
Sur un mur de la maison de Norma, une grande fresque a été peinte où la Vierge apparaît près de wagons. En face, une carte du Mexique fait apparaître le tracé du train.
Au début, une vingtaine de femmes participaient au groupe mais certaines se sont désistées car elles entendaient qu'aider des clandestins constituait un délit. «C'est une mission d'amour que nous avons», souligne Norma.
Chaque jour, les Patronas préparent des bouteilles d'eau et des sacs, qui contiennent une portion de riz et de haricots, du pain, du thon, et parfois une part de gâteau. «Parfois nous cuisinons 40 kg de riz par jour», raconte Julia.
Un hypermarché de Cordoba leur fournit du pain, d'autres commerçants du riz, des haricots. Elles glissent aussi dans le sac une brochure sur les droits des migrants et une carte recensant tous les refuges du pays.
Au fil du temps, la maison de Norma s'est transformée en modeste centre d'hébergement. Grâce à des dons, elle a pu faire construire une extension ainsi qu'une petite chapelle où des migrants se reposent, allongés sur des matelas, avant de reprendre leur dangereux périple.
«Quand nous sommes sur le train, parfois des gens nous lancent des pierres», témoigne Santos, un Hondurien de 45 ans, déjà expulsé deux fois des Etats-Unis.
Il prévoit de traverser le désert pour entrer aux Etats-Unis et y retrouver sa soeur, disparue depuis cinq ans, dont il garde précieusement la photo dans une pochette autour du cou. «Ici on ne manque de rien, on nous donne à manger et aussi des vêtements», ajoute David.
Des enfants en bas âge jouent pieds nus. Une femme allaite son bébé.
Les migrants de passage aident à la cuisine et même à la distribution des sacs à ceux qui voyagent sur la «Bestia».
Sur le train, tous ne reçoivent pas un sac de nourriture. «En nous voyant, ils partent malgré tout avec une espérance», se rassure Norma.