Au moment où la Russie est accusée de tenter de déstabiliser les pays occidentaux, de l'affaire Skripal aux ingérences dans l'élection de Donald Trump, le Pentagone se prépare à des guerres de plus en plus furtives face à des adversaires de plus en plus technophiles.
Depuis dix ans, l'armée américaine domine le cyberespace et les ondes en Afghanistan et en Irak, «face à des ennemis et des adversaires qui n'avaient pas la capacité de disputer notre supériorité», reconnaît la dernière édition du manuel de l'armée de Terre.
Aujourd'hui, le Pentagone se rend compte des limites de la guerre hyperconnectée face à des adversaires aussi performants dans le cyberespace que Moscou ou Pékin, reconnaissait à la mi-février la patronne de l'US Air Force, Heather Wilson. «La Russie et la Chine expérimentent des moyens de paralyser nos satellites les plus importants», notamment de géolocalisation, a-t-elle déclaré au cours d'un séminaire. Ces deux pays «savent que nous sommes dominants dans l'espace, que chaque mission de nos soldats dépend de l'espace» et ils cherchent à nous en «interdire l'accès».
Le budget 2019 du Pentagone prévoit des investissements dans de nouveaux GPS plus résistants au brouillage pour combattre dans le nouveau type de guerre «asymétrique» pratiqué par la Russie, qui associe propagande et déstabilisation en utilisant notamment les réseaux sociaux ou en désactivant les systèmes informatiques de l'adversaire.
Washington attribue à Moscou de nombreuses cyberattaques comme le logiciel malveillant NotPetya qui a paralysé des milliers d'ordinateurs dans le monde en juin 2017, ou le hackage des systèmes de contrôle de certaines infrastructures ultra-sensibles aux Etats-Unis, comme des centrales nucléaires ou de distribution d'eau.
Mais même si le Pentagone assure disposer de tous les outils et toutes les compétences nécessaires pour répliquer efficacement à ce genre d'attaques, il se heurte à plusieurs difficultés, notamment le fait que les militaires n'ont pas l'autorité légale pour «perturber le fonctionnement» des services russes concernés, comme l'a indiqué récemment aux élus du Congrès l'amiral Michael Rogers, le patron de la principale agence de renseignement militaire américaine, la NSA.
«Nous devons avoir des règles d'engagement spécifiques dans le cyberespace similaires à celles des autres domaines dans lesquels nous évoluons», a renchéri récemment le général John Hyten, qui dirige le commandement stratégique américain (Stratcom) et qui témoignait lui aussi devant le Congrès.
Des activités masquées
En outre, les activités déstabilisatrices de la Russie restent masquées, ce qui pose le problème de la responsabilité, comme le montre l'affaire Skripal. L’attaque à l’agent innervant menée contre l’ex-agent double Sergueï Skripal, 66 ans, et sa fille Ioulia, 33 ans, le 4 mars à Salisbury (sud-ouest de l'Angleterre) a été attribuée à la Russie mais Moscou se défend de toute responsabilité et l'Occident a du mal à prouver l'implication des autorités.
Les entreprises de déstabilisation de Moscou restent «sous le niveau du conflit», ce qui limite la capacité de réponse des Occidentaux, notait récemment le général Curtis Scaparrotti, commandant suprême des forces de l'Otan en Europe.
Les pays de l'Otan sont donc en train de «travailler à une définition de ce qui pourrait déclencher l'Article 5» du traité fondateur de l'Alliance atlantique, qui prévoit que les pays membres volent au secours d'un allié en cas d'agression, a-t-il ajouté. Moscou opère en général de façon «ambiguë, ce qui risque de rendre une décision difficile».
Le Pentagone a ouvert sur une base aérienne du Colorado un nouveau Centre national de défense de l'espace chargé de surveiller et protéger les satellites de géolocalisation américains. Créé en 2015 avec une petite équipe qui surveillait l'espace quelques heures par jour, il fonctionne aujourd'hui 24h/24, a récemment révélé un journal local, la Gazette.
Signe que la cybersécurité est un sujet très sensible aux Etats-Unis, cette annonce dans ce journal local a provoqué l'ire de l'US Air Force qui a depuis suspendu la plupart de ses opérations de relations publiques jusqu'à nouvel ordre.