Le guide suprême iranien, l'ayatollah Ali Khamenei, a accusé les «ennemis» de l'Iran de porter atteinte au régime, alors que Washington accroîssait la pression sur Téhéran au sixième jour de manifestations antigouvernementales qui ont déjà fait 21 morts et des centaines d'arrestations.
L'ambassadrice américaine à l'ONU Nikki Haley a demandé mardi des «réunions d'urgence du Conseil de sécurité à New York et du Conseil des droits de l'Homme à Genève» pour discuter de «la liberté» réclamée par le peuple iranien.
Cela faisait déjà plusieurs jours que le président américain Donald Trump affichait son soutien aux manifestations, se réjouissant dans l'un de ses nombreux tweets de l'action des Iraniens contre un régime «brutal et corrompu». Au total, 21 personnes -- dont neuf dans la nuit de lundi à mardi -- ont été tuées depuis le début le 28 décembre à Machhad (nord-est) des rassemblements contre les difficultés économiques et le pouvoir, qui se sont rapidement propagés à l'ensemble de l'Iran.
L'ayatollah Khamenei a brisé son silence sur ces «évènements» dont il a accusé «les ennemis (de l'Iran), qui se sont unis en utilisant leurs moyens, leur argent, leurs armes (...) et leurs services de sécurité pour créer des problèmes au régime islamique». Ils n'attendent qu'«une occasion pour s'infiltrer et porter des coups au peuple iranien», a-t-il dit mardi sur la télévision d'Etat, sans s'étendre sur ces «ennemis».
Une position partagée par une partie de la rue iranienne : «Quand il y a une manifestation, vous pouvez être sûr que d'autres pays en tireront profit et s'en mêleront», a confié à l'AFP Mehdi Rahmani, un ingénieur de 30 ans. Un constat qui ne l'empêche pas de comprendre les problèmes économiques ayant poussé ses concitoyens à descendre dans la rue. «J'ai réussi après beaucoup de temps à trouver un travail, mais avec un très bas salaire. Les gens manifestent simplement en raison de leurs problèmes économiques, le chômage des jeunes», poursuit-il.
450 arrestations à Téhéran
Le principal groupe réformateur, emmené par l'ex-président Mohammad Khatami, a condamné les violences et la «profonde duperie» des Etats-Unis qui ont soutenu les manifestations.
Selon la télévision d'Etat, neuf personnes ont été tuées dans la nuit de lundi à mardi dans la province d'Ispahan (centre), dont six manifestants. A Khomeinyshahr, un enfant de 11 ans a été tué et son père blessé par des tirs de manifestants alors qu'ils passaient près d'un rassemblement.
Un membre des Gardiens de la révolution a par ailleurs été tué par balles à Kahriz Sang, ainsi qu'un policier à Najafabad. Si Téhéran est globalement moins touchée par les protestations que les villes petites et moyennes, 450 personnes y ont été arrêtées depuis samedi, a indiqué le sous-préfet de la capitale Ali-Asghar Nasserbakht à l'agence Ilna.
Certains dirigeants ont pointé du doigt le rôle présumé de «contre-révolutionnaires» basés à l'étranger. Le général Rassoul Sanaïrad, l'adjoint politique du chef des puissants Gardiens de la révolution, a ainsi affirmé que le groupe Moujahidine du peuple «avait été chargé par les Al-Saoud (la dynastie qui règne sur l'Arabie saoudite) et certains pays européens de créer de l'insécurité», selon l'agence Tasnim.
Lors d'un entretien téléphonique, le président Hassan Rohani a demandé à son homologue français Emmanuel Macron d'agir contre ce «groupe terroriste» basé en France, selon la télévision iranienne. Le président français a pour sa part dit sa «préoccupation» face «au nombre de victimes liées aux manifestations» et appelé à «la retenue et à l'apaisement», selon la présidence française.
«Ne pas être silencieux»
Depuis le début, Trump, qui s'en prend régulièrement à l'Iran, bête noire de Washington, n'a eu de cesse de saluer les manifestations. Selon lui, les Iraniens ont «faim de nourriture et de liberté» et leurs protestations montrent que «le temps du changement» est venu dans le pays.
«Au lieu de perdre son temps en envoyant des tweets inutiles et insultants, (M. Trump) ferait mieux de s'occuper des problèmes intérieurs de son pays», a réagi mardi un porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, cité par les médias.
Washington a également demandé à l'Iran de lever les restrictions imposées à l'utilisation des réseaux sociaux Instagram et Telegram. «Nous ne devons pas être silencieux. Le peuple d'Iran réclame sa liberté», a déclaré l'ambassadrice américaine Nikki Haley tout en réclamant une réunion du Conseil de sécurité de l'ONU.
Les Nations unies ont d'ailleurs par la voix de leur secrétaire général Antonio Guterres "regretté les pertes de vie» lors des manifestations en Iran. La cheffe de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, a également déploré «la perte inacceptable de vies humaines», appelant «toutes les parties concernées» à s'abstenir «de toute violence». Ces pertes de vies humaines sont les plus importantes depuis le mouvement de 2009 contre la réélection du président Mahmoud Ahmadinejad.
Accusant une «petite minorité» de «fauteurs de troubles», Rohani a assuré que le gouvernement était déterminé à «régler les problèmes de la population», en particulier le chômage (12% de la population active).
Réélu en mai, M. Rohani a permis à l'Iran de sortir de son isolement avec la levée de sanctions internationales liées aux activités nucléaires de Téhéran, qui avait fait espérer aux Iraniens une amélioration de la situation économique mais tarde à porter ses fruits. Le pétrole a clôturé en légère baisse mardi à New York mais s'est toutefois maintenu au-dessus des 60 dollars, au plus haut en deux ans et demi.
Le mouvement de contestation «ne pèse pas plus fortement sur les prix car les violences ne perturbent pas directement la production de pétrole dans le pays pour le moment», a indiqué Matt Smith de ClipperData.«Le soulèvement en Iran est juste un nouveau facteur de risque dans un marché mondial qui se resserre», a noté Phil Flynn de Price Futures Group.