C’est comme un poisson hors de l’eau, j’ai perdu une part de moi-même.Comme d'autres réfugiés en France, Salah al Ashkar vit dans le souvenir douloureux du départ d'Alep, reprise voici un an par le régime syrien.
En décembre 2016, Salah se filmait dans sa ville : «je suis un fils d’Alep… je ne veux pas partir», disait-il la voix brisée dans une vidéo visible sur son compte Twitter. «Personne ne voulait partir, mais nous n’avions pas le choix», explique aujourd'hui ce diplômé en finance de 29 ans qui, comme d'autres, a témoigné sur les réseaux sociaux durant le siège des quartiers d'Alep tenus par les groupes rebelles.
Un constat partagé par Rami Zayat : «On aurait été arrêté ou tué. Pour survivre, il fallait partir». Le jeune homme de 26 ans vit désormais à Oléron avec sa femme et leur fils âgé de quelques mois. Ils sont arrivés en France début novembre avec des visas de demandeurs d'asile.
Les minutes après son départ, Rami raconte s’être senti soulagé. Un sentiment qui n’a pas duré quand il a réalisé qu'il avait «tout perdu : ma ville, ma maison, ma vie. Je suis devenu très triste».
«Je rêve de mes photos, des bombardements»
Ameer Alhalbi, 22 ans, considère, lui, que la guerre a pris ses «meilleures années». Ce jeune photographe est en France depuis sept mois; il peine à trouver le sommeil, hanté par les tragédies dont il a été témoin.
«Je rêve de mes photos, des bombardements» explique-t-il. Depuis trois mois il suit une formation en photographie à Paris (cofinancée par plusieurs médias dont l'AFP) : «parfois quand le professeur parle, mon esprit est ailleurs». «Je suis venu pour avoir une vie normale, mais c’est dur», ajoute-t-il.
Le 22 décembre 2016 a marqué un tournant dans le sanglant conflit syrien : après quatre ans de combats sans merci qui ont tué des milliers de civils, le régime de Bachar al-Assad reprenait Alep, la métropole du nord syrien et poumon économique du pays.
Les rebelles ont par la suite subi revers sur revers face à la puissante machine de guerre du régime soutenu par son allié russe, dont l'implication militaire à partir de 2015 a largement aidé à changer la donne, à Alep notamment.
«Rien prévoir»
Si Rami se dit aujourd'hui «soulagé d’être dans un pays stable», il a encore du mal à imaginer l'avenir pour lui et sa famille après avoir vécu six ans de conflit : «j’ai perdu trop de choses. Je ne veux rien prévoir avant de savoir si cela marchera».
«J’ai encore plein de photos et de vidéos avec moi, mais je n’ai pas le courage de les regarder, ça pourrait me faire encore plus de mal», ajoute-t-il. Il se souvient de «la peur et la pression extrême» qu’il a vécues durant les derniers jours du siège.
Mahmoud al Haji Othman, photographe et réalisateur de 29 ans, porte toujours à son poignet un bracelet avec le drapeau de la révolution syrienne. En France depuis quelques mois, il vit à Orléans avec sa femme et leurs deux fils.
Il se rend chaque semaine à Paris pour des cours dans une école de journalisme, «un bon moyen d’apprendre le français», selon lui. Lui avait réussi à quitter Alep dès le début du siège en juillet 2016.
Pendant toute la durée du siège, ces jeunes hommes ont documenté le conflit pour témoigner de ses atrocités. La plupart n’avaient jamais quitté leur ville d’origine.
«Ce qui me manque le plus, ce sont les matinées où je me rendais en courant à l’université car j’étais en retard, et où une fois arrivé, je buvais un 'sahlab' (boisson au lait chaud sucrée et épicée, ndlr)», confie Mahmoud.
Parfois, certains d’entre eux tombent sur des photos récentes de leur ville, qu’ils s’échangent par messageries instantanées. Une ville qu’ils disent ne plus reconnaître.