Le président palestinien Mahmoud Abbas a nettement durci le ton à l'égard de Washington après la reconnaissance par les Etats-Unis de Jérusalem comme capitale d'Israël, mais des analystes se demandent combien de temps il pourra maintenir cette ligne de fermeté.
A la tête de l'Autorité palestinienne depuis 2005, Mahmoud Abbas, 82 ans, est traditionnellement prudent dans ses mots et ses actes. Mais face à la colère suscitée dans les Territoires palestiniens par la décision du président américain Donald Trump, il a lui aussi marqué son courroux.
Quelques jours après la prise de position américaine du 6 décembre, M. Abbas a ainsi annoncé qu'il ne recevrait pas le vice-président Mike Pence dans le cadre d'une visite prévue dans le courant du mois et finalement repoussée à mi-janvier.
Vendredi, le président palestinien est resté sur la même ligne, en prévenant qu'il n'accepterait «aucun plan» de paix proposé par Washington. «Les États-Unis se sont disqualifiés eux-mêmes», a-t-il proclamé.
Ces prises de position réjouissent la population palestinienne, pour qui Jérusalem est un symbole du futur Etat auquel elle aspire. Dans un récent sondage du Centre palestinien pour la politique et les études (PCPSR), 86% des Palestiniens interrogés ont même indiqué être favorables à une rupture des relations avec les Etats-Unis.
Mais, relèvent des analystes, les Etats-Unis demeurent les seuls capables d'influencer la politique israélienne et le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu, considéré comme le plus à droite de l'histoire du pays.
M. Netanyahu ne cesse en effet de critiquer l'ONU et l'Union européenne, deux des membres du Quartet pour la paix aux côtés des Etats-Unis et de la Russie.
En quête d'alternative, M. Abbas a récemment envoyé des émissaires en Russie, afin d’essayer d'obtenir le soutien de Moscou.
Mais Israël sait qu'aucun autre gouvernement n'est si bien disposé à son égard que les Etats-Unis et n'acceptera probablement aucun autre médiateur.
Sauver la face
Mahmoud Abbas risque par conséquent de se retrouver coincé entre cette réalité et l'opinion publique palestinienne, qui juge que sa coopération avec les Etats-Unis et Israël en vue d'obtenir un accord de paix n'a mené à rien.
Dans un récent sondage du PCPSR, 70% des Palestiniens souhaitaient la démission de M. Abbas. Et la mort depuis le 6 décembre de 11 Palestiniens -neuf dans des heurts avec les forces israéliennes et deux dans des raids aériens israéliens sur Gaza en réponse à des tirs de roquette- le mettent encore davantage sous pression.
Le président palestinien va probablement tenter «de consolider le consensus international contre la position américaine et refuser toute négociation tant qu'il n'y a pas de médiateur impartial», affirme à l'AFP Ofer Zalzberg, du centre de réflexion International Crisis Group (ICG). «Abbas considère ceci comme l'option la moins pire», ajoute-t-il.
Mais le prix à payer risque d'être élevé car, souligne l'analyste, sans Washington comme médiateur, il n'y aura tout simplement plus de processus de paix.
Pour Nadia Hijab, directrice du centre de réflexion palestinien Al-Shabaka, M. Abbas devra obtenir des concessions importantes pour ne pas perdre la face s'il reprend langue avec les Américains dans le cadre d'un processus de paix.
«La chose la plus évidente serait que les Etats-Unis reviennent sur leur décision de reconnaître Jérusalem (comme capitale d'Israël) mais je ne vois pas Trump faire cela», poursuit-elle.
Les dirigeants palestiniens savent très bien «au fond d'eux-mêmes qu'ils auront besoin des Etats-Unis à un certain moment», remarque Grant Rumley, auteur d'un livre sur Mahmoud Abbas.
Dans les calculs de Donald Trump, «les Palestiniens reviendront à un moment donné à la table des négociations», estime l'analyste.
A court-terme, les Palestiniens sont déjà confrontés au risque de perdre une bonne partie des 400 millions de dollars (337 millions d'euros) d'aide annuelle américaine.
Un projet de loi actuellement examiné par le Congrès conditionne une partie de cette somme à l'abandon par l'Autorité du versement d'aides aux familles des Palestiniens tués lors d'attaques contre des Israéliens.
M. Abbas s'est opposé depuis des années à la fin de ces aides, conscient de l'impopularité d'une telle décision. Les Palestiniens considèrent en effet ces attaques comme des actes de résistance à l'occupation israélienne de leurs territoires depuis plus de 50 ans.
Si Donald Trump ne s'oppose pas aux plans du Congrès, l'aide américaine aux Palestiniens pourrait être divisée par deux.
Dans le même temps, le président palestinien est confronté à l'accélération par Israël de la colonisation, c'est-à-dire la construction de logements pour des Israéliens dans les Territoires occupés. Ces constructions grignotent toujours un peu plus le territoire d'un éventuel futur Etat palestinien indépendant.
Pour riposter, Mahmoud Abbas tente d'obtenir que davantage de pays reconnaissent unilatéralement l'Etat palestinien, sans attendre le résultat de négociations de paix encore hypothétiques.
Mais, remarque M. Rumley, même s'il parvient, une reconnaissance internationale n'aurait «pas beaucoup d'effet pour changer la réalité sur le terrain», en Cisjordanie occupée.