Le pape a appelé jeudi, depuis le Bangladesh, la communauté internationale à «des mesures décisives» face à l'exode des Rohingyas, notamment une «aide matérielle immédiate» pour faire face à cette crise humanitaire qui submerge ce pays d'Asie du Sud.
Arrivé à Dacca jeudi après-midi après une visite de quatre jours en Birmanie, le pape François est sorti de son silence diplomatique sur la question dès sa première allocution. Il n'a toutefois pas employé le terme «Rohingya», lui préférant celui de «réfugiés arrivés en masse de l'État Rakhine», la région épicentre des troubles en Birmanie.
Après les bains de foule dans la très catholique Colombie en septembre, François, «pape des pauvres» et promoteur convaincu du «dialogue interreligieux», a opté pour deux pays très pauvres où les chrétiens ultra-minoritaires sont parfois en danger.
Dans des vidéos séparées aux deux populations, il a précisé qu'il venait porter un «message de réconciliation, de pardon et de paix».
Dès son arrivée en Birmanie lundi, pour la première visite historique d'un pape dans ce pays, les projecteurs étaient néanmoins braqués sur ses prises de position sur la minorité apatride musulmane des Rohingyas.
Le voyage, planifiée avant l'exode massif des Rohingyas, serait «très intéressant diplomatiquement», a admis le porte-parole du Vatican, Greg Burke, une expression où fleurait une certaine inquiétude.
François a déjà évoqué en termes forts depuis la place Saint-Pierre le drame de cette ethnie qui a presque entièrement fui le sol birman.
Quelque 900.000 Rohingyas de Birmanie sont entassés dans le plus grand camp de réfugiés de la planète, au sud du Bangladesh. Environ 620.000 d'entre eux ont fui depuis fin août leurs villages de l'Etat Rakhine (ouest de la Birmanie) pour échapper à des violences militaires.
«Rohingya» mot explosif
Ravie mais apeurée, la minuscule Eglise catholique locale a multiplié les appels à François pour qu'il pèse soigneusement ses mots sur le sol birman et n'attise pas l'ire des nationalistes bouddhistes.
En Birmanie, le mot «Rohingya» est tabou. Les membres de cette ethnie sont qualifiés de «Bangladais», des immigrés illégaux du Bangladesh, dans l'impossibilité d'avoir des papiers d'identité depuis une décision de la junte militaire en 1982.
L'archevêque de Rangoun, Charles Bo, premier cardinal du pays depuis 2015, a été reçu samedi au Vatican par le pape François et lui a fait trois recommandations : éviter le mot Rohingya (parler plutôt des «musulmans de l'Etat Rahkine»), ajouter une discrète rencontre avec l'armée birmane et organiser une table ronde interreligieuse.
François a finalement démarré son programme avec cette table ronde, avant sa rencontre mardi avec le Prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi qui dirige le gouvernement civil. Elle a signé jeudi avec le Bangladesh un accord, au contenu encore flou, sur le retour des Rohingyas en Birmanie.
200.000 personnes attendues pour une messe à Rangoun
Le pape comptait également parler discrètement avec le chef de l'armée birmane, le général Min Aung Hlaing, qui a récemment jugé impossible le retour en masse des réfugiés.
Dans un entretien à l'agence catholique Aci, le cardinal Bo souligne que «l'Eglise n'a pas eu de dialogue avec les forces militaires depuis 60 ans» et il rappelle les souffrances d'autres ethnies moins médiatisées (Chin, Kachin, Shan).
Pour le père Bernardo Cervellera, dirigeant de la revue Asia News, agence officielle de l’Institut pontifical pour les missions étrangères, «le pape vient en Birmanie pour soutenir Aung San Suu Kyi», qui a lancé un programme de réconciliation avec toutes les minorités.
Elle doit marcher sur des oeufs avec une armée qui reste très puissante, malgré l’auto-dissolution de la junte en 2011, ainsi qu'une opinion publique anti-musulmane.
Quelque 200.000 personnes étaient attendues à une messe catholique en plein air à Rangoun, capitale économique. Le pays est à 90% bouddhiste et les catholiques représentent 1,2% de la population (660.000 personnes).
Rencontre avec des Rohingyas au Bangladesh
Après une homélie dédiée aux jeunes, symboles d'espoir, le pape devait s'envoler pour le Bangladesh ce 30 novembre (jusqu'au 2 décembre), pour rencontrer «un petit groupe de Rohingyas», dans le cadre d'une rencontre interreligieuse «pour la paix» prévue à Dacca.
Car selon l'archevêque de Dacca, Patrick D'Rozario, premier cardinal de l'histoire du Bangladesh depuis un an, il était totalement exclu que le pape se rende dans leur immense camp de réfugiés insalubre. «Les nouveaux réfugiés rohingyas sont encore dans une condition instable», a-t-il confié à l'AFP.
Le Bangladesh est en première ligne sur ce dossier humanitaire potentiellement explosif. Le pays est également confronté à une montée de l'islamisme radical, qui inquiète désormais ses 600.000 chrétiens, dont les églises sont gardées 24 heures sur 24.
Environ 375.000 catholiques vivent au Bangladesh, soit 0,24% des 160 millions d’habitants. L'Eglise locale espère voir jusqu'à 100.000 d'entre-eux affluer à une messe en plein air.