Jamais elle n'oubliera le 12 juillet 1995. Munira Subasic se trouve nez-à-nez avec Ratko Mladic, connu plus tard comme le "Boucher des Balkans". Après ce jour-là, elle ne verra plus son fils de 16 ans vivant
"J'étais à Srebrenica en juillet 1995 lorsque (Ratko) Mladic est arrivé, le 12. Il a dit que nous serions tous en sécurité. Avant son arrivée, toute ma famille était vivante. Après, ils étaient morts", témoigne-t-elle, aujourd'hui présidente du mouvement des Mères des enclaves de Srebrenica et de Zepa.
A Srebrenica, les forces de l'ancien chef militaire des Serbes de Bosnie Ratko Mladic, condamné mercredi à la perpétuité pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité, tuèrent plus de 8.000 musulmans. Parmi les morts se trouvent 22 membres de la famille proche de Mme Subasic. Son mari Hilmo et son fils Nermin, tout juste âgé de 16 ans, n'ont pas survécu à la tuerie, la pire en Europe depuis la Seconde guerre mondiale.
Et elle ne ressort que "partiellement satisfaite" du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), basé à La Haye, suite à la lecture du verdict mercredi à l'encontre du bourreau de sa famille.
Pourtant imperturbable et solide, elle "regrette que le tribunal n'ait pas reconnu Ratko Mladic coupable de l'accusation de génocide dans plusieurs villages", le seul des onze chefs d'accusation pour lequel n'a pas été condamné l'ancien chef militaire.
Une figure en croisade
Sa voix tremble et une larme coule le long de sa joue au moment d'évoquer le dernier instant vécu avec son fils, sur la base militaire des Casques bleus de l'ONU à Potocari, non loin de Srebrenica. Autour d'eux, des milliers de musulmans venus chercher refuge face aux troupes des Serbes de Bosnie, qui sèment la terreur et envahissent le camp.
Alors que les hommes et les garçons sont séparés des femmes et mis dans des bus, Mme Subasic "supplie" Ratko Mladic "d'épargner" son fils, raconte-t-elle à l'AFP la veille du verdict. "Mais ils l'ont emmené en dehors du camp. Mon fils me disait de ne pas m'inquiéter, que l'on se reverrait un jour. Mais cela n'est jamais arrivé."
Depuis, elle s'est lancée dans une croisade : elle veut raconter ce qui s'est passé. Et traduire en justice ceux qui ont le sang du génocide de Srebrenica sur leurs mains. "Nous sommes les témoins vivants", clame-t-elle. "Sans justice, il n'y a pas de confiance, et sans confiance, pas de réconciliation. Mes petits-enfants, les petits-enfants de Mladic et tous les enfants, nous devons leur construire à tous un avenir meilleur", poursuit l'ancienne épicière de 70 ans, cheveux blancs attachés par une pince.
A première vue, elle semblait un peu déplacée dans les couloirs institutionnels du TPIY. Mais au fil des procès des accusés ayant eu un rôle dans la guerre des Balkans, elle est devenue une figure remarquable sur les bancs du tribunal, écoutant attentivement depuis la tribune publique ceux qui ont semé la destruction et le chaos dans son pays.
"La haine est une faiblesse"
Celle qui aime faire des confitures et prendre soin de son potager à Srebrenica est aujourd'hui grand-mère de trois petits-enfants, par son fils aîné Vahidin, absent du village le terrible jour du 12 juillet. Mais, glissé dans son portefeuille, le portrait de Nermin ne la quitte jamais. Sur la photo apparaît un adolescent souriant, aux cheveux bruns et bouclés, des rêves d'une florissante carrière de médecin plein la tête.
Ce n'est que plus tard, bien après la guerre, que seuls deux petits os de Nermin sont retrouvés dans deux fosses communes différentes, distantes de 25 kilomètres. Munira Subasic les a enterrés dans le mémorial de Potocari, en 2013. "Nous avons réussi à ne pas inculquer la haine à nos enfants. La haine est une faiblesse", affirme-t-elle, attendant de la prochaine génération qu'elle poursuive sa mission, et lui souhaite de vivre dans une société multiculturelle.
"Nous avons réussi à éduquer nos enfants, à avoir des ingénieurs, des médecins, des professeurs. C'est notre réussite, c'est notre vengeance."