Le mouvement chiite libanais Hezbollah, qui a été dénoncé par le Premier ministre Saad Hariri pour son rôle régional, a étendu son influence au Moyen-Orient ces dernières années, s'engageant dans plusieurs conflits à la demande de l'Iran, dont il est une «carte maîtresse» d'après des experts.
M. Hariri, qui a annoncé sa démission surprise le 4 novembre depuis l'Arabie saoudite, a dénoncé avec virulence les ingérences dans les pays arabes de l'organisation armée chiite, poids lourd de la vie politique au Liban.
Et la nouvelle crise politique qui frappe ce pays semble directement liée à la colère de Ryad vis-à-vis du Hezbollah, «instrument» de l'expansion régionale iranienne, notamment en Syrie et au Yémen, selon des experts.
Alors que le Hezbollah représente une «carte maîtresse» pour Téhéran dans la région, «cette démission marque la volonté saoudienne de mettre le holà aux avancées iraniennes», confirme Karim Bitar, expert en relations internationales.
Les deux puissances régionales sont engagées depuis des décennies dans une lutte d'influence.
Le Hezbollah, créé dans les années 1980 pour lutter contre l'intervention puis l'occupation israélienne au Liban --qui se poursuivra jusqu'en 2000--, reçoit de longue date un soutien financier et militaire de l'Iran.
Classé «organisation terroriste» par Ryad et Washington, cible de sanctions économiques américaines, il est aujourd'hui un acteur incontournable des conflits qui ravagent le Moyen-Orient.
«Expertise militaire»
«A travers le Hezbollah, l'Iran a pu opérer sur plusieurs fronts régionaux. Le groupe a été très utile pour propager l'influence iranienne», assure Hilal Khashan, professeur de Sciences politiques à l'Université américaine de Beyrouth.
D'après l'expert, le mouvement --«l'instrument le plus important de l'Iran dans la région»-- a formé en Irak les très influentes milices chiites du Hachd al-Chaabi.
Il a des «agents» au Yémen, où les rebelles chiites houthis sont la cible d'une offensive de Ryad.
Mais surtout, «il apporte une expertise militaire au régime syrien», selon M. Khashan.
En Syrie, ravagée par un conflit meurtrier depuis 2011, le Hezbollah est un allié indéfectible du président Bachar al-Assad.
«Militairement, le Hezbollah s'est aguerri en Syrie. Il a acquis des capacités offensives, pas uniquement celles d'un mouvement de contre-insurrection», confirme M. Bitar.
Pour Joseph Bahout, analyste à la Fondation Carnegie, le Hezbollah est même devenu aujourd'hui «un modèle pour toute les mini-forces dans la région», ainsi pour les rebelles houthis du Yémen.
Le mouvement armé est «le joyau de la couronne, la force» qui a permis à l'Iran de devenir, ces trente dernières années, «la plus grande puissance au Levant», précise-t-il.
Rompant son silence une semaine après sa démission, M. Hariri a dénoncé dimanche les ingérences du Hezbollah dans les pays arabes.
«Je dis au Hezbollah, il est de votre intérêt, si on veut préserver le Liban, d'abandonner certains théâtres où vous vous ingérez», a souligné celui dont la démission n'a pas encore été à ce jour acceptée par le président Michel Aoun.
«L'Arabie saoudite avait-elle, à n'importe quel moment, une quelconque position vis-à-vis du Hezbollah, avant la guerre au Yémen?», a argué Saad Hariri, soutenu ces dernières années par Ryad.
«Equilibre de la terreur»
La crise politique fait craindre que le Liban, pays aux équilibres communautaires fragiles, ne plonge dans de nouvelles violences.
Lors de sa dernière allocution, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, est allé jusqu'à accuser Ryad d'avoir demandé à Israël d'attaquer le Liban.
Bête noire d'Israël, le mouvement chiite est le seul parti libanais à ne pas avoir abandonné son arsenal à la fin de la guerre civile (1975-1990).
L'Etat hébreu et le Hezbollah s'étaient livré en 2006 à une guerre qui a fait plus de 1.200 morts côté libanais, en majorité des civils, et 160 côté israélien, quasiment tous des soldats.
Pour des experts, si l'Arabie saoudite tentait aujourd'hui d'ouvrir un front contre le Hezbollah, le risque d'embrasement de toute la région serait bien réel.
«L'Iran et le Hezbollah ont déjà montré qu'ils ne font pas de guerres traditionnelles, ce sera une guerre asymétrique, ils vont frapper là où ça fait mal», explique Joseph Bahout.
«Les Emirats, l'est de l'Arabie saoudite... (ou) peut-être essayer d'inciter des troubles dans les régions chiites du royaume», poursuit l'expert en guise d'exemples.
Pour Karim Bitar, on assiste à «une conjonction de facteurs très inquiétants», avec notamment «une impulsivité saoudienne, soutenue par un président américain également très impulsif, et une montée de la rhétorique en Israël».
«Mais, à ce stade, on est encore dans un système où il y a une dissuasion mutuelle, un équilibre de la terreur, assure M. Bitar. Les deux parties savent qu'une éventuelle guerre serait dévastatrice pour les deux.»