Flambée des prix et début de pénurie de carburant: les habitants de Sanaa commencent à souffrir du renforcement du blocus, qui pourrait conduire le Yémen vers "la plus grande famine" des dernières décennies selon l'ONU.
Déjà éprouvés par la guerre civile et le blocus de fait imposé par la coalition sous commandement saoudien depuis plus de deux ans, les habitants de la capitale yéménite sous contrôle des rebelles craignent maintenant que la situation empire de jour en jour. L'ONU s'inquiète elle aussi, un haut responsable onusien évoquant mercredi le risque que le Yémen subisse "la plus grande famine" de ces dernières décennies si le blocus n'est pas levé.
Réuni à huis clos, le Conseil de sécurité de l'ONU a souligné "la situation humanitaire catastrophique" dans ce pays et "l'importance de garder tous les ports et aéroports du Yémen en état de fonctionnement".A Sanaa, Saïd Kanaf peste contre l'Arabie saoudite. "La situation était déjà catastrophique et ça ne l'a pas empêché de nous imposer un blocus total pour qu'on meure de faim", explique à l'AFP ce chauffeur de taxi.
En annonçant la fermeture "temporaire" des ports, aéroports et accès routiers au Yémen, la coalition a affirmé vouloir "combler des lacunes" après des "transferts" d'armes d'Iran vers les rebelles yéménites et le tir, par ces mêmes Houthis, d'un missile balistique en direction de Ryad, intercepté près de la capitale saoudienne.
Ce tir a provoqué une vive passe d'armes entre Ryad et Téhéran, les deux grands rivaux du Moyen-Orient qui soutiennent des camps opposés au Yémen.
Grogne générale
Avant le week-end, la devise du Yémen s'échangeait au taux de 370 riyals contre un dollar, mais ce chiffre a bondi à 402 riyals en quelques jours, ont indiqué des changeurs de Sanaa. Le prix de l'essence à la pompe a grimpé de 50% et celui du diesel a presque triplé, tandis que les bonbonnes de gaz avaient tout simplement disparu, avant une reprise partielle jeudi de l'approvisionnement à la suite de l'intervention de responsables rebelles.
Les prix des produits de première nécessité ont augmenté dans une fourchette de 10 à 20% en quelques jours, selon des habitants. D'après des médias contrôlés par les Houthis, l'administration a fait fermer des stations-services pratiquant des prix excessifs et formé une commission pour organiser la distribution des carburants, tout en affirmant disposer de stocks conséquents.
Mais les craintes des habitants restent vives, d'autant que ces mesures ont provoqué de longues files d'attente devant les stations-services. "Ne vous étonnez pas de voir des gens crever dans la rue en cas de maintien du blocus", prédit, l'air sombre, Mohammed Wassabi, un employé du secteur privé.
La ville n'a jamais compté autant de mendiants, dont le nombre a quadruplé depuis le début de la guerre, selon des associations caritatives. Certains fonctionnaires n'ont pas reçu de salaires depuis dix mois, ce qui a contraint nombre d'entre eux à chercher un autre emploi. Pour calmer la grogne générale, l'administration rebelle, à court d'argent, est parvenue à débloquer récemment la moitié des salaires impayés. Et selon des organisations humanitaires, la situation est encore pire dans les zones sous contrôle des rebelles hors de la capitale.
'Millions de victimes'
L'ONU s'alarme elle pour l'ensemble du pays, où la guerre entre rebelles et forces progouvernementales a fait plus de 8.650 morts et quelque 58.600 blessés, dont de nombreux civils, en plus de deux ans selon l'Organisation mondiale de la santé. Le secrétaire général adjoint aux Affaires humanitaires de l'ONU, Mark Lowcock, a indiqué que le Yémen risquait de subir "la plus grande famine" des dernières décennies en cas de maintien du blocus, un fléau qui pourrait faire des "millions de victimes".
Le représentant suédois adjoint à l'ONU, Carl Skau, dont le pays est à l'origine de la convocation mercredi de la réunion du Conseil de sécurité, a déclaré que "21 millions de personnes avaient un besoin d'aide humanitaire urgente" au Yémen.