Alors que le bras de fer s'intensifie autour de la Catalogne, l'extrême droite gagne en visibilité dans les rues d'Espagne, conduisant les analystes à craindre une montée en puissance après des décennies dans l'ombre.
Jeudi, dans le centre-ville de Barcelone, le groupuscule xénophobe Hogar Social, le parti d'extrême droite Vox et le groupe ultra-nationaliste Espana 2000 se sont joints aux dizaines de milliers de familles, couples et retraités venus célébrer la fête nationale. A la fin, des incidents ont éclaté entre ultras.
Non loin de là, sur la colline de Montjuic, qui domine la veille ville et le port, plusieurs centaines de militants extrémistes fêtaient l'événement à leur manière. Avec des discours haineux au milieu de stands où on vendait des objets tels que le «testament politique» d'Adolf Hitler ou des insignes à la gloire des Waffen SS.
Des groupuscules d'extrême droite se sont réunis à d'autres occasions à Barcelone, à Valence ou dans les îles Baléares, dans des endroits à forte identité régionale, avec là aussi des incidents violents.
Ces agissements ne sont pas nouveaux, mais certains craignent que l'extrême droite puisse tirer avantage de la grave crise politique qui oppose le gouvernement aux séparatistes catalans. Elle pousse de plus en plus d'Espagnols à arborer le drapeau national, aux balcons ou dans la rue.
«On n'avait encore jamais eu des manifestations avec autant de drapeaux espagnols et ces groupes en profitent pour gagner en visibilité», souligne l'analyste politique Pablo Simon. «Plus la polarisation dure, plus la résolution du conflit tarde, plus la capacité de ces groupes à s'organiser augmente», estime-t-il.
L'historien Xavier Casals, spécialiste de l'extrême droite, estime qu'aucun parti politique en Espagne n'est actuellement assez constitué pour tirer profit de la crise. Mais cela pourrait changer, avertit-il, «alors que la situation en Catalogne évalue rapidement et de manière imprévisible».
Contrairement à d'autres pays européens comme la France ou l'Allemagne depuis peu, l'Espagne ne compte aucun député d'extrême droite au Parlement depuis 1982.
«Un catalyseur»
Depuis le retour de la démocratie dans les années 1970, l'extrême droite a été incapable de séduire au-delà du cercle des nostalgiques de la dictature de Francisco Franco (1939-1975), marquée par une répression sanglante de l'opposition et des identités régionales, souligne Jordi Borras, un photo-reporter spécialiste de la question.
Des électeurs proches des thèses de l'extrême droite votent plutôt pour le Parti populaire du Premier ministre conservateur Mariano Rajoy, dit-il. Ce qui signifie que «l'extrême droite est très fragmentée depuis le début des années 1980».
La crise en Catalogne les fédère d'autant plus que, contrairement à d'autres pays européens où l'extrême droite se construit sur un sentiment anti-immigration et anti-Islam, l'extrémiste espagnol milite d'abord pour l'unité du pays.
«Le mouvement indépendantiste catalan offre un véritable catalyseur car l'unité de l'Espagne est une vraie obsession pour l'extrême droite», note Jordi Borras qui redoute une recrudescence des incidents dans les semaines qui viennent.
Jeudi à Barcelone, pour la fête nationale, Manuel Andrino, un des leaders de la Phalange espagnole, en appelait directement à l'armée pour régler la crise. «Je ne pense pas qu'elle doit parader et encore moins à Madrid. Notre armée devrait être ici, maintenant, aux côtés de nos compatriotes», a-t-il lancé à la foule.
Le sociologue Narciso Michavila estime que l'influence de ces groupuscules reste marginale, même si des «petits partis comme Vox progressent dans les sondages».
A ses yeux, les dirigeants séparatistes catalans ont leur part de responsabilité en diffusant des thèses comme «l'Espagne nous vole», en référence au fait que la Catalogne verse plus d'argent à l'État central qu'elle n'en récupère.
«Au bout du compte, les extrêmes s'alimentent entre eux en se nourrissant de cette radicalité et de cette confrontation», estime le sociologue.