«Combattre le totalitarisme n’est pas un crime», pouvait-on lire sur certaines pancartes des quelque 22.000 manifestants qui ont défilé dans les rues de Hong-Kong, dimanche.
Ils protestaient contre l’emprisonnement de trois jeunes, condamnés mi-août pour leur rôle de leaders dans la «révolution des parapluies» trois ans plus tôt. Ce mouvement avait donné lieu, fin 2014, à une série de manifestations dénonçant pendant près de 3 mois la mainmise de Pékin sur les élections de l’exécutif local. Un mouvement dont le symbole était devenu le parapluie, utilisé par les manifestants pour se protéger des jets de poivre de la police.
La marche de dimanche, en soutien à Nathan Law, Joshua Wong et Alex Chow, s’est donc déroulée sur fond de revendications démocratiques pour la région administrative chinoise qu’est Hong-Kong. Valérie Niquet, responsable du pôle Asie à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), analyse les enjeux de ce retour à la rue.
Comment ont évolué les relations entre Pékin et les Hongkongais depuis la révolution des parapluies ?
Le ressentiment des Hongkongais contre le pouvoir de la Chine communiste augmente, car il y a trop (et de plus en plus) d’interventions chinoises dans la vie politique hongkongaise. Je pense par exemple à l’affaire des cinq libraires, installés à Hong-Kong et enlevés par des «gros bras» du continent en juin 2016, car ils vendaient des ouvrages (grand public) sur la vie privée des dirigeants chinois. Ou encore aux députés indépendantistes de Hong-Kong, élus à l’Assemblée législative, qui n’ont jamais pu prendre leurs positions en raison des pressions faites par Pékin qui les accusait d’avoir adopté une attitude non-conforme à la législation. Je pourrais aussi mentionner la volonté de la Chine de contrôler l’enseignement universitaire de Hong-Kong, ou les nombreux placements de hauts-fonctionnaires chinois faits à Hong-Kong, souvent avec de l’argent venu de la corruption.
La Chine était déjà extrêmement présente dans la vie politique hongkongaise, mais il existait une marge de liberté que Pékin tente de plus en plus de contrôler.
Le ressentiment des Hongkongais contre le pouvoir chinois augmente de plus en plusValérie Niquet, responsable pôle Asie à la FRS
La condamnation des trois leaders est-elle la goutte d’eau qui a fait déborder un vase déjà bien plein ?
Il faut voir comment tout cela évolue, mais il est certain que cela a déclenché la colère. L’erreur de la Chine a été de pousser à la condamnation des principaux dirigeants du mouvement. C’était une vraie maladresse que d’en faire des martyrs. Mais ça va être intéressant de voir la réaction de Pékin après cette manifestation. Quoiqu’il en soit, cet épisode n’améliorera pas les relations entre la Chine et sa région administrative.
Comment peut réagir Pékin pour calmer ces tensions naissantes ?
Il existe plusieurs scénarios. La Chine peut ne rien faire, mais ça laisserait la porte ouverte à de nouvelles manifestations. Elle peut aussi choisir de pousser les autorités hongkongaises à une répression sévère, mais cela aura tendance à augmenter la colère des Hongkongais, ainsi qu’à déclencher une réaction de la communauté internationale. Quoiqu’il en soit, il y a peu de chances qu’elle revienne sur la décision de la Cour d’appel. Pékin considère que revenir sur une décision de ce type, c’est faire preuve de faiblesse. Il est possible que, plutôt que de céder, la Chine encourage le pouvoir local à essayer de trouver des solutions acceptables. Mais pour le moment, il y a encore beaucoup de points d’interrogation.
La volonté d'avoir un système démocratique garanti est quelque chose de très profondément ancré à Hong-KongValérie Niquet, responsable du pôle Asie à la FRS
Quelle serait selon vous la meilleure réaction à adopter de la part de Pékin ?
Je pense que la meilleure chose à faire pour Pékin serait de reconnaître la spécificité de Hong-Kong, plus que ce n’est fait actuellement. La Chine devrait aussi garantir au minimum les libertés démocratiques qui ont été accordées à Hong-Kong, lors de la rétrocession de la région par la Grande-Bretagne à la Chine.
Malheureusement, on est plus face à un régime qui est en phase de repli idéologique et de grande inquiétude, que face à un régime qui est prêt à l’ouverture. Donc je ne suis pas du tout certaine que cela soit cette solution-là qui soit choisie.
Au-delà de l’indignation à la suite de l’emprisonnement des trois jeunes, la marche de dimanche portait-elle des revendications démocratiques comme à l’époque des parapluies ?
Ce mouvement est encore très présent. La volonté d’avoir un système démocratique garanti est quelque chose de très profondément ancré à Hong-Kong. Et la crainte de voir Pékin réduire encore un peu plus cette marge démocratique à Hong-Kong est une préoccupation que l’on retrouve au cœur des sentiments d’insatisfaction qui s’expriment à Hong-Kong.
Avec sa décision de justice, Pékin a offert un prétexte à de nouvelles manifestations. Toutefois, je ne peux pas vous dire aujourd’hui si cela va prendre de l’ampleur. Cela pourrait, mais cela va aussi dépendre de la réaction de la communauté internationale et, surtout, de celle de la République de Chine.