Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.
L’Euro de football s’est ouvert par une victoire de l’équipe de France, de bon augure pour le pays organisateur. Après les attentats sanglants de l’année 2015, les inondations et les grèves de ces derniers jours, c’est bien le moins que le pays puisse espérer : un moment festif et fédérateur comme seul le sport moderne, et en particulier le football, peut en offrir.
Les Français non seulement le souhaitent mais sont aussi en droit d’en être gratifiés, ne serait-ce que pour ne pas oublier que la vie d’un pays n’est pas faite que de drames et de divisions. Aussi, François Hollande et Manuel Valls ont-ils promis de tout faire pour assurer le bon fonctionnement de cet Euro. Il serait absurde d’attendre d’une fête réussie, aussi populaire soit-elle, un retour en grâce pour un pouvoir exécutif toujours frappé d’impopularité. Le succès que fut l’organisation de la Coupe du monde de football en 1998, et la victoire finale de l’équipe de France – et sa formation dite «black-blanc-beur» – avait certes été célébré comme il se doit par Jacques Chirac, et avait permis au président de la République d’alors d’obtenir un regain de popularité, un an après la dissolution perdue. Mais ce mouvement avait été de très courte durée.
Et sans véritable conséquence politique. En revanche, un Euro de football réussi donnerait de la France une image plus avenante que celle donnée par des manifs en tout genre et des amoncellements d’ordures ménagères, qui font encore aujourd’hui le tour du monde des télévisions et des réseaux sociaux. Et surtout, il s’inscrirait dans une séquence qui pourrait recréer ce qui a, jusqu’à présent, le plus manqué : un climat de confiance. Parce qu’un événement de cette nature, qui polarise l’attention mondiale, peut, s’il est réussi, alimenter un vent de fierté nationale. Et parce qu’il viendrait ajouter à la multiplication récente d’indicateurs suggérant que le pays, en effet, commence à aller mieux : c’est le FMI de Christine Lagarde qui rehausse sa prévision de croissance (1,5 %) ; c’est l’Insee qui relève le nombre des créations d’emplois dans le secteur marchand (160 000) ; c’est l’OFCE qui note que les entreprises, pour la première fois depuis le début de la crise financière en 2007, «embauchent et investissent en même temps»… Tous des éléments qui ne sont ni mis en valeur ni perçus, mais qui pourraient l’être à la faveur d’un changement de climat né d’une fête réussie.
C’est sans doute sans compter les adversaires du couple exécutif, notamment ceux qui, se réclamant de la gauche, veulent avant tout s’assurer que ni François Hollande ni Manuel Valls ne pourront se rétablir et envisager de gagner la prochaine présidentielle. C’est l’objectif affirmé de toutes celles et ceux qui se préparent à battre la campagne : Jean-Luc Mélenchon, qui a déjà commencé, le Parti communiste, Cécile Duflot, d’autres encore qui clament haut et fort que la rupture est consommée avec la gauche de gouvernement. Mais ceux qui ont vraiment entre leurs mains le pouvoir de gâcher la fête ne sont autres que les grévistes de la CGT. Ce syndicat, malgré ses proclamations officielles, paraît bien décidé à éclipser l’attention portée au football.
Il suffit d’écouter son secrétaire général, qui confiait au journal Le Parisien : «La grève, ce n’est pas Martinez qui la décrète.» Formulation digne de Ponce Pilate qui laisse penser que les grévistes auront tout loisir, s’ils le peuvent, d’amplifier leur mouvement dans les secteurs où la gêne peut être maximum. Une première et importante indication sera donnée dès demain, jour de manifestations, où doivent converger toutes les oppositions au gouvernement et au président de la République à travers la contestation de la loi travail.
Jean-Marie Colombani