Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.
Décidément, le sort paraît s’acharner contre l’Europe. En témoigne le référendum aux Pays-Bas, qui a dégagé une majorité hostile à l’accord d’association entre l’Union européenne et l’Ukraine. En témoignent aussi les révélations sur le Premier ministre britannique qui a admis avoir eu des parts dans une société appartenant à son père, localisée au Panama à des fins d’exil fiscal. Elles affaiblissent politiquement le Premier ministre à la veille de défendre le maintien de la Grande-Bretagne dans l’Union européenne, question soumise à référendum.
Certes, la participation au référendum sur l’Ukraine était particulièrement faible et la confusion sur l’objet du vote a été entretenue : beaucoup ont cru qu’il s’agissait d’un vote pour ou contre l’adhésion de l’Ukraine, alors qu’il s’agissait simplement d’un accord économique, qui n’en sera pas pour autant invalidé. De même, David Cameron n’a commis aucun délit et il s’était débarrassé de ses participations (environ 35 000 euros) avant de devenir Premier ministre. Mais ces deux événements s’ajoutent aux polémiques incessantes sur les réfugiés et aux difficultés objectives que rencontrent les Européens pour tenter de maîtriser l’exode (1,8 million de personnes fuyant les combats en Syrie et en Irak ont, en 2015, gagné l’Europe). Ils viennent alimenter les discours des mouvements qui font campagne contre l’idée même de la construction européenne.
Celle-ci souffre d’être constamment caricaturée et présentée pour ce qu’elle n’est pas : une entité qui s’imposerait aux peuples contre la volonté de leurs gouvernements. L’Union n’est qu’une instance de coopération entre Etats nations. Elle n’est compétente que lorsque ces mêmes Etats le décident, notamment pour réguler le marché unique formé par les 28 Etats membres. La seule entité fédérale, la Banque centrale européenne, ne concerne que la zone euro. La BCE, sous l’impulsion de son président Mario Draghi, a sauvé l’ensemble de la zone menacée de disparaître sous l’effet de la crise financière internationale et accompagne aujourd’hui tous les efforts de relance de l’activité. Les Etats-Unis, pourtant à l’origine de la crise en 2007-2008, en sont sortis très rapidement, tandis que l’Europe paraissait s’enliser. L’Union n’avait aucun instrument pour se défendre. Elle en a forgés lentement, au rythme des réticences des uns (l’Allemagne) et de l’inquiétude des autres. Il existe désormais un mécanisme de solidarité, une union bancaire…
De la même façon, lorsqu’a surgi la crise des réfugiés, l’Europe ne disposait d’aucun instrument pour la maîtriser, les gouvernements ayant toujours considéré les flux migratoires comme relevant de leur seule souveraineté. Sous la contrainte de la crise, avec lenteur mais aussi, de la part de la Commission européenne, avec obstination, des moyens sont appelés à se mettre progressivement en place, comme l’ont souligné à Metz, lors de leur traditionnel sommet, Angela Merkel et François Hollande. Citons un véritable contrôle aux frontières de l’Union, des mécanismes collectifs de répartition des réfugiés pour aider les pays qui ne peuvent pas les accueillir, la renégociation des conditions du droit d’asile… Et nul doute que sous la contrainte du terrorisme et du retrait progressif des Etats-Unis de la scène européenne et méditerranéenne, apparaîtra aussi l’absolue nécessité de forger une défense européenne.
Ainsi, lorsqu’Angela Merkel affirme que les Européens ont surmonté des dossiers difficiles et qu’ils surmonteront ceux qui sont aujourd’hui sur la table, elle s’exprime non pas avec idéalisme, mais avec réalisme. Elle parle plus vrai que toutes celles et ceux qui alimentent aujourd’hui la «pensée unique» souverainiste qui est en train de s’installer dans nos pays.