Des femmes se sont lancées dimanche pour la première fois dans une campagne électorale en Arabie saoudite, un royaume ultra-conservateur où elles sont soumises à de nombreuses restrictions, comme l'interdiction de conduire.
La campagne va durer douze jours avant les élections municipales du 12 décembre, les premières à être ouvertes aux femmes en tant qu'électrices et candidates. Environ 900 Saoudiennes, sur un total de 7.000 candidats, se présentent pour un siège dans les 284 conseils municipaux. Faire campagne puis être élue s'annonce bien compliqué pour elles puisque le royaume interdit la mixité, en particulier dans les meetings électoraux. Seules 130.600 femmes se sont en outre inscrites sur les listes électorales soit environ dix fois moins que d'hommes, selon des chiffres officiels.
"Nous allons voter pour des femmes même si nous ne savons rien d'elles", a annoncé dimanche Oum Fawaz, une jeune institutrice de Hafr al-Baten (nord-est). "Il suffit qu'elles soient des femmes comme nous". "C'est l'une des premières étapes pour les droits des femmes", s'est félicité Sahar Hassan Nasief, une militante de la ville côtière de Jeddah, dans l'ouest du royaume, qui compte beaucoup d'amies parmi les candidates. Mais deux d'entre elles ont été d'emblée disqualifiées. "J'ai été éliminée comme candidate pour les municipales (...) Je ferai opposition par les canaux appropriés", a annoncé Loujain Hathloul, une militante qui avait été détenue pendant deux mois par les autorités pour avoir tenté en décembre 2014 d'entrer dans le royaume au volant de sa voiture par la frontière avec les Emirats arabes unis.
Une autre militante, Nassima al-Sadah, qui s'était portée candidate à Qatif (nord-est), a annoncé avoir été informée samedi soir par les autorités que son nom avait retiré de la lite des candidates. Elle a suspendu sa campagne. "Je ne connais pas la raison", a indiqué Mme Sadah, qui avait reçu pour sa campagne électorale une formation par le National Democratic Institute, une organisation non-caritative basée à Washington.
Timide ouverture
L'entrée des Saoudiennes sur la scène politique est un défi de taille dans un royaume qui applique une version rigoriste de l'islam, qui ne compte aucune femme ministre. Les femmes ne sont autorisées à sortir en public qu'à la condition d'être couvertes de la tête aux pieds, et elles ne peuvent pas travailler, se marier ou voyager sans autorisation de leur mari ou d'un homme de leur famille. Les Saoudiens ont déjà voté deux fois pour des élections municipales, en 2005 et 2011. C'est cette année-là, dans la foulée des printemps arabes, que le roi Abdallah avait accordé aux Saoudiennes le droit de vote et d'éligibilité. Deux ans plus tard, il avait nommé des femmes au Majlis al-Choura, un conseil consultatif.
Malgré ce timide processus d'ouverture a été engagé sous le règne du roi Abdallah (2005-2015), la route vers l'égalité des sexes et une meilleure visibilité des femmes dans l'espace public demeure jalonnée d'obstacles. Pour se faire connaître, une candidate peut faire campagne sur les réseaux sociaux, dont Twitter et Facebook. Elle peut aussi utiliser des banderoles et des brochures mais sans sa photo, une interdiction qui s'applique également aux hommes.
A Hafr al-Baten, une affiche de promotion des élections et comportant un dessin d'un homme et d'une femme a été défigurée. Et le visage de la femme a été déchirée, selon des témoins. Une candidate peut s'adresser directement aux électrices lors d'une réunion électorale mais devra laisser le lendemain son porte-parole, un homme, diriger la réunion publique pour les hommes. Aljazi Al-Hossaini, une candidate à Ryad, voulait installer une tente sur un terrain de sa circonscription pour sa campagne. Mais le propriétaire du terrain, "un homme, a refusé", dit-elle.
La démocratie électorale est encore un concept nouveau dans un royaume saoudien toujours fondé sur des relations tribales très fortes et où avoir de l'entregent est important. "Nous luttons pour un véritable changement, en dehors de l'influence des tribus ou des familles", affirme Saoud al-Shammry, 43 ans. Cet habitant de Ryad n'écarte pas la possibilité de voter pour une femme "si son programme est convaincant".