Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.
Les derniers développements de la crise des réfugiés, marquée par un nouveau drame en mer Egée (vingt-deux personnes se sont noyées, dont la moitié était des enfants) sont encadrés par des sommets européens. Le dernier en date s’est tenu à Bruxelles et avait pour objet de stopper toute immigration en provenance des Balkans, où les pays aspirent pour la plupart à devenir membres de l’Union européenne. A ce titre, celle-ci devrait plutôt se préoccuper d’organiser un accueil pour les réfugiés.
Mais la tension s’est déplacée vers un autre sommet, celui qui a réuni ce week-end en Allemagne les chefs des partis de la coalition gouvernementale pour tenter d’apaiser les tensions nées de la politique d’accueil que mène – généreusement – ce pays et qu’une partie de la droite récuse. Le socialiste Sigmar Gabriel, vice-chancelier, a ainsi pu dénoncer l’«indignité» des critiques envers Angela Merkel par le ministre-président de Bavière, leader de la CSU (l’aile droite de la CDU), Horst Seehofer. Ce dernier a adressé à la chancelière un ultimatum lui enjoignant de changer de cap et de s’engager dans une politique de refus des réfugiés. D’où le sommet inter-allemand, nécessaire, selon Sigmar Gabriel, pour permettre au gouvernement de retrouver son libre arbitre. Ces dissensions ont déstabilisé Angela Merkel à laquelle il est désormais reproché pêle-mêle : de pactiser avec le président turc Erdogan (mais la Turquie détient l’une des clés de la maîtrise du flux des réfugiés : elle en accueille déjà 2,5 millions) ; de vouloir se rapprocher de Vladimir Poutine (mais les frappes aériennes russes, qui visent des zones hostiles à Bachar al-Assad età Daesh, ont provoqué un nouvel exode estimé à quelque 130 000 personnes) ; ou d’avoir demandé à Pékin, à l’occasion de sa visite en Chine, de faire pression sur Moscou. Bref, de donner des signes de faiblesse qu’on ne lui connaissait pas.
Près de 700 000 personnes sont pour l’heure entrées en Europe. Il n’est pas exclu que le million soit atteint à la fin de l’année. La très grande majorité aspire à rejoindre l’Allemagne. Chacun a pu mesurer, comme à l’occasion de la crise financière, qu’il n’est au pouvoir d’aucun de nos pays de résoudre seul une crise d’une telle ampleur. Dès le début, Angela Merkel en avait appelé à la solidarité européenne. Celle-ci est organisée par la Commission européenne qui, là aussi dès le début, avait demandé une répartition équitable des réfugiés, précédée d’un contrôle aux frontières de l’Union pour n’accepter que les personnes ayant droit au statut de réfugié. Des décisions ont été prises, mais leur application dépend de la seule bonne volonté des Etats membres. Il a été ainsi décidé qu’au cours des deux prochaines années, 160 000 réfugiés devront être répartis entre les Etats membres (dont 60 000 sont aujourd’hui en Grèce et 40 000 en Italie). A ce jour, il ne s’est rien passé ou presque. Mêmes difficultés pour le déblocage des fonds nécessaires à la mise sur pied des centres d’accueil indispensables pour distinguer les réfugiés de ceux qui ne pourront pas être accueillis. L’Union européenne n’est ni une
Le paradoxe est que, une fois cette phase délicate passée, les pays d’accueil tireront un véritable bénéfice de leur générosité. Déjà, la perspective allemande est édifiante. Malgré les innombrables difficultés que suscite un tel afflux de réfugiés, les quelque 11 milliards d’euros, que l’Allemagne consacrera à leur accueil et à leur insertion, représenteront un surplus de croissance qui viendra compenser, et au-delà, le manque à gagner créé par le ralentissement chinois.
Jean-Marie Colombani