Des milliers de personnes étaient réunies dimanche à Ankara pour rendre hommage aux victimes du double attentat suicide qui a fait au moins 95 morts la veille et dénoncer la responsabilité du gouvernement, a constaté une journaliste de l'AFP.
Réunie à l'appel des syndicats, ONG et partis politiques proches de la gauche et de la cause kurde qui avaient appelé au rassemblement pour la paix de la veille, la foule a mis en cause le président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan aux cris de "Erdogan meurtrier" et "gouvernement démission".
Selon un communiqué des services du Premier ministre Ahmet Davutoglu, le bilan s'élevait samedi en fin de soirée à 95 morts et 246 blessés, dont 48 se trouvaient toujours en soins intensifs dans les hôpitaux d'Ankara. Le Parti démocratique des peuples (HDP), formation prokurde qui avait appelé à la manifestation, a assuré dans la nuit sur son compte Twitter avoir établi un bilan de 128 morts.
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L'attentat s'est produit samedi à 10h04 heure locale (07h04 GMT). Deux violentes explosions ont secoué les alentours de la gare centrale d'Ankara, où des milliers de militants venus de toute la Turquie à l'appel de plusieurs syndicats, d'ONG et partis de gauche se rassemblaient pour dénoncer la reprise du conflit entre Ankara et les rebelles kurdes. Les déflagrations ont transformé l'esplanade, jonchée de corps sans vie, en scène de guerre et provoqué la panique dans la foule.
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Le président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan a dénoncé une "attaque haineuse contre notre unité et la paix de notre pays" et promis "la réponse la plus forte". M. Davutoglu a, lui, affirmé détenir de "fortes preuves" que l'attentat avait été commis par deux kamikazes.
"Acte odieux"
En l'absence de revendication, le chef du gouvernement a pointé du doigt trois mouvements susceptibles, selon lui, d'en être l'auteur: le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), le groupe Etat islamique (EI) et le Parti/Front révolutionnaire de libération du peuple (DHKP-C) d'extrême gauche. Cet attentat particulièrement meurtrier intervient à trois semaines des élections législatives anticipées du 1er novembre, dans un climat de forte tension nourri par les affrontements entre les forces de sécurité turques et le PKK dans le sud-est à majorité kurde du pays.
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Après l'attentat, la police a tiré des coups de feu en l'air pour disperser des manifestants en colère qui dénonçaient l'absence de mesures de sécurité autour de leur rassemblement, aux cris de "policiers assassins". Le président américain Barack Obama a appelé son homologue turc Recep Tayyip Erdogan pour lui exprimer la "solidarité" des Etats-Unis avec la Turquie contre le "terrorisme". Le président français François Hollande a condamné un acte "odieux" et la chancelière allemande Angela Merkel une attaque contre "les droits civiques, la démocratie et la paix". Le secrétaire général de l'ONU Ban Ki-moon a souhaité que "les auteurs de ces actes terroristes" soient "rapidement présentés à la justice".
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Le HDP a explicitement mis en cause le pouvoir. "Nous sommes confrontés à un Etat meurtrier qui s'est transformé en mafia", a déclaré le chef de file du parti, Selahattin Demirtas. A Istanbul et dans plusieurs villes du sud-est du pays, des milliers de personnes ont conspué le gouvernement aux cris de "Erdogan meurtrier" et "la paix l'emportera". Des manifestations prokurdes similaires se sont déroulées en Europe, notamment en France, en Allemagne ou en Suisse.
Le HDP, dont une réunion de campagne avait déjà été visé par un attentat à la bombe deux jours avant les législatives de juin, a pointé du doigt la similitude entre l'attentat d'Ankara et celui du 20 juillet à Suruç, près de la frontière syrienne, attribué à l'EI et où 33 militants de la cause prokurde ont été tués. Dans la foulée de cet attentat de Suruç, les affrontements ont repris entre l'armée et la police turques et les rebelles du PKK, qui ont fait voler en éclat un fragile cessez-le-feu qui tenait depuis mars 2013. Plus de 150 policiers ou soldats ont été tués depuis dans des attentats attribués aux rebelles kurdes, alors que les autorités turques affirment avoir "éliminé" plus de 2.000 membres du PKK lors de leurs opérations de représailles.
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Les rebelles kurdes ont annoncé samedi quelques heures après l'attentat la suspension de leurs activités avant les élections. "Notre mouvement a décrété une période d'inactivité pour nos forces de guérilla, sauf si nos militants et nos forces de guérilla étaient attaqués", a déclaré l'Union des communautés du Kurdistan (KCK), qui chapeaute la rébellion. "Nous ne ferons rien qui puisse empêcher une élection équitable".
Le quotidien progouvernemental Sabah a suggéré que le PKK pourrait être à l'origine de l'attentat d'Ankara. Mais les rebelles ont riposté en affirmant, dans une déclaration reçue par l'AFP, que "ce massacre doit être compris comme une conspiration du gouvernement AKP pour rester au pouvoir". Lors du scrutin législatif du 7 juin, l'AKP a perdu la majorité absolue qu'il détenait depuis treize ans au Parlement, notamment en raison du bon score réalisé par le HDP. Après l'échec des négociations pour la formation d'un gouvernement de coalition, M. Erdogan a convoqué des élections anticipées pour le 1er novembre.