Chaque semaine, Jean-Marie-Colombani, cofondateur et directeur de Slate.fr, exprime de manière libre et subjective son point de vue sur les temps forts de l’actualité.
L’approche de la fin du mois de mars, prochaine "deadline" prévue pour un éventuel accord à Genève sur le nucléaire iranien, a remis cette question au cœur de l’actualité. Faut-il passer un compromis avec l’Iran, pays qui cherche à se doter de l’arme nucléaire ? Deux réponses s’opposent. D’un côté les Etats-Unis, pour lesquels il est temps de remettre l’Iran dans le jeu : mieux vaudrait alors un mauvais accord que pas d’accord du tout. De l’autre côté, Israël qui, par la voix de son Premier ministre, s’oppose à un accord jugé trop peu contraignant au nom de la sécurité du pays.
L’affaire a pris un tour polémique car Benyamin Netanyahou s’est offert le luxe d’un discours devant le Congrès des Etats-Unis, il est vrai contrôlé par le parti républicain, dont il a toujours été proche. Contre-discours en fait, puisqu’il s’agissait de prendre le contre-pied de la diplomatie officielle américaine et d’alerter les parlementaires américains, achevant ainsi de rompre avec Obama. Il n’est pas nécessairement intelligent de jouer ainsi à court terme un pouvoir américain contre un autre : cette intrusion laissera des traces. Car elle était en grande partie dictée par un impératif de campagne électorale puisque, à la fin du mois, la Knesset doit être renouvelée et qu’il s’agissait pour Netanyahou de reprendre l’avantage sur ses rivaux du centre gauche.
Pourtant, il ne faut pas oublier qu’Israël aujourd’hui est, de facto, encerclé par l’Iran avec ses deux bras armés, le Hezbollah et le Hamas. En outre, la taille d’Israël est telle qu’un seul tir, une seule bombe nucléaire, suffirait à le détruire. Il s’agit donc d’une question de survie. Et même avec un délai de dix ans, qui est aujourd’hui envisagé, un compromis avec l’Iran signifierait l’acceptation par l’Europe et les Etats-Unis du développement d’une infrastructure nucléaire qui, à terme, peut déboucher sur la construction d’une bombe. Israël n’est pas seul à craindre la mainmise de l’Iran sur toute la région : l’Arabie Saoudite, première puissance sunnite, a multiplié les signes d’inquiétude et resserré récemment ses liens avec le Pakistan, pays qui a promis à l’Arabie de l’aider à son tour à se doter de l’arme nucléaire si l’Iran parvenait à ses fins. C’est l’un des obstacles, et non des moindres, dans cette négociation : la crainte d’une prolifération nucléaire dans la région.
Côtés américain et européen, en revanche, une perspective de long terme plaide pour un rapprochement avec l’Iran. Certes, la nature du régime, qui reste une dictature religieuse, ne facilite guère le compromis. Mais la situation objective y pousse. Si l’on considère que le danger principal est représenté par Daesh, si l’on prend en compte la manœuvre d’encerclement qui menace, puisque la Libye est désormais la cible de ce mouvement extrémiste, alors l’Iran redevient un allié naturel. C’est déjà le cas sur le terrain en Irak, pays de plus en plus inféodé à l’Iran, et qui ne résiste à Daesh que grâce au soutien de l’armée iranienne. L’Iran, c’est aussi le soutien à Bachar el-Assad et, peut-être demain, l’explosion du Yémen.
Donc, d’un point de vue strictement américain et européen, on peut considérer qu’en aidant le parti qui, en Iran, veut se réinsérer dans le jeu international, on contribue plus rapidement à éliminer Daesh et à stabiliser la région.
C’est dire si la discussion est complexe. Au passage, il sera intéressant d’observer la position de la France. Celle-ci, l’an dernier, avait bloqué une première hypothèse d’accord trop peu contraignante pour l’Iran.
Jean-Marie Colombani