Les consommateurs pourront acheter en Uruguay 10 grammes de cannabis par semaine, au prix d'un dollar le gramme, selon les décrets d'application d'une loi unique au monde dévoilés vendredi.
Attendus depuis le vote en décembre de la loi régulant le marché du cannabis en Uruguay, les décrets d'application ne seront publiés que mardi mais leur contenu a été rendu public par Diego Canepa, président du Bureau national des drogues (JND), lors d'une conférence de presse à Montevideo.
Après inscription sur un registre national, les usagers pourront acquérir "un maximum de 10 grammes par semaine", a-t-il notamment déclaré.
Le gouvernement lancera un appel au privé "dans un délai de moins de deux semaines après l'entrée en vigueur des décrets" pour accorder entre deux et six licences de production, selon lui.
Le cannabis pourra être cultivé par des particuliers résidant en Uruguay pour leur usage personnel et par des clubs de consommateurs ou bien acheté en pharmacie, mais dans ce cas, pas avant le mois de décembre, compte tenu du temps nécessaire à sa récolte.
Le prix public sera de 20 à 22 pesos le gramme (environ un dollar).
Selon Julio Calzada, secrétaire général du JND, le volume total consommé dans ce pays de 3,3 millions d'habitants "tourne autour de 18 à 22 tonnes" de cannabis par an, en conséquence de quoi "il n'y aurait pas besoin de plus de 10 hectares" de cultures pour satisfaire la demande.
Ces précisions étaient attendues avec impatience par les usagers contraints jusqu'alors de s'approvisionner illégalement, seule la consommation étant autorisée.
"Ca a été un soulagement quand la loi a été approuvée parce que je n'aurai plus jamais à aller me fournir dans une +boca+ (point de vente illégal)", a ainsi confié à l'AFP Claudia, une employée de 36 ans, mère de trois enfants.
L'obligation de figurer sur un registre pourrait toutefois dissuader certains usagers de rentrer dans la légalité.
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"Il y a des gens qui ont peur de s'enregistrer à cause du travail. Et si un autre gouvernement anti-marijuana arrive, il pourra utiliser cette base de données contre les gens", a ainsi estimé Juan Pablo Tubino, propriétaire d'un magasin spécialisé dans la culture du cannabis, à Montevideo.
- Expérimentation à la fois critiquée et observée -
Cette loi unique au monde a été portée à bout de bras par le président Jose Mujica, un ancien guérillero septuagénaire et iconoclaste dont le mandat s'achève cette année, qui a affronté de nombreuses réticences, jusqu'au sein de sa majorité de gauche, le Frente amplio (FA).
Les principales incertitudes concernent la capacité des autorités à contrôler une production illégale dans tous les pays voisins et des dizaines de milliers de petits cultivateurs répartis dans tout le pays.
La consommation de cannabis s'est multipliée ces dernières années, selon le JND qui estime ses usagers à 128.000 personnes. Mais les associations de consommateurs revendiquent elles 200.000 fumeurs, pour 3,3 millions d'habitants.
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Des craintes sont également exprimées par ces autocultivateurs, qui voient déjà se multiplier les vols de plants.
"Désormais, on voit plus les autocultivateurs, on sait qu'il y a beaucoup de gens qui plantent, c'est pour cela qu'il y a des vols. Moi, on m'a volé, mes amis et des connaissances, aussi. Et ça se passe dans tout le pays", a ainsi assuré Juan Andres Palese, producteur et co-propriétaire d'une autre boutique dédiée à la culture de cannabis, un secteur en plein essor.
En raison des restrictions d'accès au produit pour les mineurs, les étrangers, ceux refusant de s'enregistrer, etc., la possibilité d'éradiquer totalement le marché noir semble également illusoire.
Les forces de l'ordre affirment en être conscientes. La nouvelle loi pourrait "modifier le marché" illégal de la marijuana, a admis à l'AFP le commissaire César Manuel Sosa, directeur de la Direction générale de répression du trafic de drogues. "La possibilité existe que (le marché) puisse dévier (vers d'autres drogues) ou violer cette loi, alors, nous devrons agir", a-t-il ajouté.
Notamment critiquée par l'Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) des Nations unies, cette expérimentation est toutefois observée avec intérêt par des pays, organisations ou anciens dirigeants estimant que la politique essentiellement répressive menée depuis plusieurs décennies sous la houlette des Etats-Unis, plus gros marché de consommateurs au monde, a été un échec.
"Il y a un consensus entre de nombreux pays pour reconnaître que ce que nous faisons contre les drogues ne fonctionne pas mais il n'y a pas d'accord sur ce que sera la réponse correcte", a reconnu pour l'AFP Hannah Hetzer, de l'ONG américaine Drug Policy Alliance.