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En Espagne, la "préférence nationale" de l'extrême droite ne fait pas recette

Un militant de "Espana 2000", l'un des petits partis d'extrême droite qui reste marginale en Espagne, le 12 octobre 2012 à Valence [Jose Jordan / AFP] Un militant de "Espana 2000", l'un des petits partis d'extrême droite qui reste marginale en Espagne, le 12 octobre 2012 à Valence [Jose Jordan / AFP]

"Je préfère qu'on aide ma famille plutôt que les étrangers, même si ce n'est pas bien de dire ça": Veronica Talaya fait partie des Espagnols aidés par España 2000, l'un des petits partis d'une extrême droite qui reste marginale en Espagne malgré la crise.

Cette mère de trois enfants de 27 ans est venue récupérer une poussette pour son bébé de deux ans. Chaque début de mois, elle vient chercher des vivres au siège de ce parti à Valence, dans l'est de l'Espagne, qui abrite également l'association "Foyer social patriote Maria Luisa Navarro".

Cette ONG a soulevé fin mars l'indignation des autorités locales, qui ont déposé plainte pour discrimination, en distribuant des vivres dans un quartier pauvre de la ville, uniquement à des Espagnols montrant leur carte d'identité.

Pour nous "la priorité nationale est claire", proclame Azucena Pelayo Sanz, une femme blonde, joviale, de 48 ans, présidente de l'association qui aide 154 familles. "Et depuis deux ans, la situation empire de jour en jour", s'alarme-t-elle.

"Nous avons un message très simple: avec six millions de chômeurs, nous ne pouvons pas avoir plus de six millions d'immigrés", renchérit le président d'España 2000, José Luis Roberto, venu partager le déjeuner avec des militants.

- Un discours peu porteur -

Mais ce discours, contrairement à d'autres pays européens, reste peu porteur en Espagne, malgré un chômage à 26%. España 2000, ni aucun autre groupe d'extrême droite, ne prétend à un siège de député lors des élections européennes de mai.

España 2000, qui revendique des liens avec le Front national français, ne comptabilise que 4.000 adhérents et cinq élus municipaux. Un autre groupe basé en Catalogne, la Plataforma per Catalunya (PxC), dispose d'une soixantaine de conseillers municipaux.

"L'Espagne est un bon exemple dans la mesure où elle montre, comme dans d'autres pays qui ont fait l'objet d'un +sauvetage+ (Irlande, Portugal), que la crise économique ne génère pas en elle-même l'extrême droite", relève l'historien Xavier Casals, spécialiste des mouvements extrémistes.

Pourquoi? D'abord parce que "l'Espagne, il y a pratiquement dix ans, était encore une population d'émigrants", souligne-t-il.

De plus, "dans les années 90 et la première partie des années 2000, les immigrés étaient décrits comme positifs", aidant au développement économique du pays, renchérit le sociologue Fermin Bouza.

Attirés à cette époque par le boom, les étrangers ont été nombreux à quitter le pays depuis le début de la crise. En 2013, leur nombre officiel atteignait cinq millions, soit près de 11% de la population.

Le sociologue relève aussi que l'extrême droite en Espagne "vient d'une guerre civile" et du franquisme (1939-1975). Par la suite, le Parti populaire, de droite, aujourd'hui au pouvoir, a "réussi à tenir l'extrême droite sous contrôle", explique le sociologue, estimant à "un quart ou un tiers du PP", soit environ 3 millions, les personnes se réclamant d'extrême droite.

Une partie d'entre elles sont réfractaires à "adopter une xénophobie contraire à leur culture politique marquée par le catholicisme", défenseur des valeurs d'égalité, "et l'hispanité", qui unit les peuples hispaniques, alors qu'environ un étranger sur cinq vient d'Amérique latine, souligne Xavier Casals.

- Une extrême droite fragmentée -

En dehors du PP, "la situation de l'extrême droite en Espagne est caractérisée par sa fragmentation", ajoute-t-il.

"Il y a une lutte de pouvoir" entre les dirigeants, dit Carlos Romero, un phalangiste de 52 ans, présent autour de la table avec un ex-franquiste, un ex-syndicaliste ou encore une fervente catholique qui organise des processions de Pâques.

Mais le président d'España 2000, un ancien militaire, est persuadé que viendra l'heure "d'un front que nous appelons identitaire, que d'autres appellent anti-immigration".

Cet avocat et propriétaire d'une entreprise de sécurité souligne l'accroissement d'un sentiment d'injustice face à l'allongement des listes d'attente pour l'aide sociale.

Les associations donnent la priorité aux immigrés parce qu'elles "disent que, nous, on a des familles qui peuvent nous aider", assure Veronica.

"A conditions égales et au chômage, entre un Espagnol et une famille immigrée, d'abord le national", affirme Juan Antonio Serrano, 53 ans, qui se décrit comme un syndicaliste de gauche déçu, devenu militant d'España 2000.

Xavier Casals n'exclut d'ailleurs pas que le discours xénophobe finisse par porter: "la situation espagnole est très volatile."

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