Un naufragé affirmant avoir dérivé pendant 13 mois dans le Pacifique, une durée jugée sans précédent par des spécialistes, a parfois pensé à se suicider afin d'abréger son calvaire.
José Salvador Alvarenga, pêcheur au Mexique, a été récupéré lundi par un patrouilleur de la police des îles Marshall, sur un atoll isolé où s'était échoué jeudi dernier son bateau de 7 mètres, au terme d'une dérive de quelque 12.500 kilomètres.
"Je ne voulais pas mourir de faim", a déclaré mardi à l'AFP cet homme de 37 ans, actuellement hospitalisé à Majuro, capitale de cet archipel du Pacifique sud.
"Il y a eu des moments où j'ai pensé me suicider, mais j'avais peur de le faire", a-t-il dit.
Cheveux décolorés par le soleil et barbe hirsute, cet homme solidement bâti paraissait dans une forme physique étonnamment bonne à son arrivée à Majuro, cinq jours après avoir mis pied à terre sur l'atoll reculé d'Ebon.
Il ne semblait pas avoir les lèvres gercées, la peau brûlée ou présenter d'autres signes d'une forte exposition aux éléments.
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Affamé, il a dit avoir plus d'une fois rêvé de ses plats favoris. "Mon rêve depuis un an est de manger une tortilla (galette à base de maïs, spécialité de la cuisine mexicaine), du poulet et plein d'autres choses".
Outre la nourriture, son père et sa mère manquaient cruellement à José Salvador Alvarenga, qui a indiqué ne pas être marié mais avoir une fille, Fatima, qu'il brûle de revoir.
Originaire du Salvador, Alvarenga résidait depuis quinze ans au Mexique.
La mère du rescapé, Maria Julia Alvarenga, a "remercié Dieu que (son fils) soit en vie". "Nous sommes plus qu'heureux. Je veux juste qu'il soit là avec nous", a-t-elle déclaré à la chaîne CNN.
Le pêcheur a raconté qu'il était parti pêcher le requin le 24 décembre 2012 avec un compagnon âgé de 15 à 18 ans, "Xiguel", lorsque des vents violents les ont éloignés de la côte, poussant vers le large leur bateau dont le moteur avait cessé de fonctionner.
L'urine pour ne pas mourir de soif
A l'évocation du jeune homme, qui est décédé au bout de quatre mois, ne pouvant se nourrir de viande d'oiseau crue, de sang de tortue et d'urine, le regard du rescapé s'assombrit.
"Il n'arrivait pas à garder la nourriture crue dans son estomac et il vomissait sans arrêt. J'essayais de lui dire de manger en se bouchant le nez mais ça ne marchait pas".
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Alvarenga a expliqué que son compagnon d'infortune était mort de faim et qu'il avait jeté son corps par dessus bord: "Que pouvais-je faire d'autre?".
"Le plus dur a été de devoir boire mon urine, quand il n'a pas plu pendant trois mois", a-t-il confié.
A l'autre bout du Pacifique, des pêcheurs mexicains incrédules, ses compagnons, ont reconnu le naufragé sur des photos.
"C'est bien lui, mec, c'est +La Chancha+, on ne peut pas se tromper", dit Jorge Rodriguez, un des fils de Guillermino Rodriguez Solis, le patron d'Alvarenga.
Il venait de voir des photos montrées par les journalistes venus à Chocohuital, dans l'Etat du Chiapas, au sud-est du Mexique. C'est là qu'on a vu pour la dernière fois "La Chancha", son surnom mexicain.
Selon Guillermino Rodriguez, le patron d'Alvarenga, le Salvadorien de 37 ans avait quitté la côte le 20 novembre 2012, et non pas le 24 décembre comme indiqué par Alvarenga. Il dit avoir communiqué avec lui "une fois par radio".
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Ensuite, "quand nous avons vu que soufflait le vent du nord et qu'il ne revenait pas, nous avons cherché à le joindre, mais il ne répondait plus", raconte Guillermino. Les autorités locales ont effectué des recherches pendant quatre jours, y compris à l'aide d'un hélicoptère.
Dans le village, on peut à peine croire à l'odyssée d'Alvarengo. Pour les pêcheurs qui connaissent beaucoup d'histoires de naufrages, personne ne peut survivre 13 mois en haute mer. "Nous sommes surpris, mais maintenant que je le vois à la télévision, il n'y a pas de doute, c'est bien lui", dit William Uscanga, un autre pêcheur.
L'étonnement des compagnons d'Alvarenga est partagé par des spécialistes.
"Il y a des gens qui ont survécu longtemps sur un radeau de survie, mais jamais un homme n'a tenu aussi longtemps. Si son récit est vrai, alors c'est exceptionnel", a dit à l'AFP Hilmar Snorrason, président de l'IASST, une association pour la sécurité et la survie qui a son siège à Southampton, au Royaume-Uni.
Le Dr Jean-Yves Chauve, médecin français des courses au large, se dit "plutôt sceptique sur cette histoire quant à sa durée".
Plus étrange, selon lui, est "son manque de vitamine C, qu'on ne trouve que dans les fruits et les légumes, grande cause de mortalité en mer à l'époque de Christophe Colomb. Normalement, il devrait avoir des signes d'une carence comme des déchaussements de dents, des gencives qui saignent, un épuisement du corps, ce qu'il n'a pas", souligne-t-il.
Le Dr Chauve ne s'étonne en revanche pas du fait que le pêcheur n'ait croisé aucun bateau dans le Pacifique, "où la circulation des navires est beaucoup moins intense que dans l'Atlantique".