Ravie, Mossamat Jhumu brandit son ticket gagnant: le 15. A la loterie d'une clinique d'Arlington (Virginie, est), la jeune femme vient de gagner non pas des vélos ou des dollars, mais des soins gratuits.
"C'est la quatrième fois que je venais tenter ma chance", raconte à l'AFP cette aide-soignante de 39 ans, originaire du Bangladesh et aujourd'hui naturalisée américaine. Comme 48 millions de ses concitoyens, elle ne bénéficie pas d'assurance-santé.
De bon matin par une froide journée de novembre, Mossamat a donc patiemment attendu, avec une centaine d'autres personnes, que s'ouvrent les portes de l'Arlington Free Clinic, un centre de santé aux locaux clairs et modernes, dans la banlieue de Washington.
A Arlington, "environ 10% des habitants n'ont pas d'assurance-santé", indique Jody Steiner Kelly, directrice administrative de la Free Clinic. Elles peuvent aller aux urgences si nécessaire, mais "pour un suivi complet, nous sommes une roue de secours", explique-t-elle.
Alors une fois par mois, ce centre de santé privé, financé par des dons, organise une loterie d'où sortiront entre 20 et 25 vainqueurs. Le prix: l'inscription de l'heureux gagnant, après vérification qu'il est bien éligible, qui pourra ainsi soigner autant son mal de dos que son diabète ou son cancer.
"La plupart des gens qui viennent nous voir souffrent de maladies chroniques, parce qu'ils attendent le dernier moment quand il faut choisir entre la nourriture, le loyer ou la santé", explique Mme Steiner Kelly.
"Un docteur, c'est trop cher"
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En Virginie, la situation est d'autant plus aiguë pour les quelque 400.000 personnes en précarité qu'elles sont au centre d'une bataille politique sur la question de l'"Obamacare", la réforme de santé du président Barack Obama.
Les républicains, majoritaires en Virginie, ne veulent pas entendre parler d'une extension du nombre de bénéficiaires de "Medicaid", la couverture santé pour les plus démunis, optionnelle dans la réforme.
Or, cet Etat tout proche de la capitale vient d'élire un gouverneur démocrate, Terry McAuliffe, qui a fait de cette extension son cheval de bataille.
Plus d'une vingtaine d'Etats, tous à majorité républicaine, ont déjà annoncé leur opposition à cette extension qu'ils estiment trop coûteuse.
Pour sa part, Mossamat Jhumu a déjà essayé deux fois de consulter le site internet de la réforme, dont le lancement a connu de spectaculaires ratés reconnus par Barack Obama.
"Ca n'a pas marché. J'attends qu'ils réparent. J'espère pouvoir trouver une assurance", dit la jeune femme avant de prendre calmement sa place dans la file pour pouvoir s'inscrire et prendre un ticket.
Puis chacun s'assoit en attendant le tirage. Claudia Nerio Mejia, 28 ans, "souffre du pied et a besoin de radios pour savoir d'où ça vient". "Un docteur, c'est trop cher", dit la jeune Salvadorienne qui, sans papiers, ne pourra jamais avoir d'assurance.
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Greg Bennett, 60 ans, qui présente des problèmes cardiaques, est citoyen américain. "Les gens dans ce pays ont des biens mais c'est le cash qui manque", dit-il en assurant que "les bords des routes américaines abondent en motos ou en voitures à vendre".
Mme Steiner Kelly, traduite par une collègue hispanisante, rappelle à la cantonade les règles de la loterie: "La clinique n'est que pour les adultes, pas d'étudiants, et vous devez habiter les Etats-Unis depuis un an", dit-elle. Et bien sûr ne pas avoir d'assurance.
L'heure est au tirage. Le ticket "A3" est sorti d'un petit panier d'osier. On s'exclame, on congratule le gagnant. Puis le 15 sort. "C'est comme gagner le gros lot!", s'exclame Mme Jhumu.
Elle vient de remporter le droit de rejoindre les 1.700 patients traités par le centre, en consultation interne ou externe, grâce à un corps médical bénévole.
Mme Steiner Kelly attend pour sa part avec impatience la mise en place de la réforme Obama. "Chaque patient nouvellement assuré laissera sa place à quelqu'un que nous ne pouvions pas prendre", dit-elle.
Avant de lancer aux malchanceux, qui s'en vont en silence: "Prochaine loterie le 10 décembre !"