Entre 800.000 Tadjiks, selon les chiffres officiels, et près du double selon des estimations officieuses - sur une population totale de 8 millions de personnes - travaillent en Russie, une manne financière indispensable pour ce pays pauvre d'Asie centrale.
Pour l'économiste Khodjamkhamad Oumarov, le pays ne survit que grâce à cette émigration. "Imaginez ce qu'il y aurait ici sans cela: la famine et des troubles sociaux", assure-il à l'AFP.
Le Tadjikistan, petite république d'Asie centrale, est dirigée depuis 1992 par Emomali Rakhmon.
En Russie, pays pour lequel ils n'ont pas besoin de visa, les Tadjiks travaillent essentiellement sur les chantiers, dans les marchés et comme chauffeurs. Ils vivent pour la plupart dans des logements de fortune et sont de plus en plus confrontés à la xénophobie.
Dès qu'elle entend un bruit à l'entrée de sa maison, Rano, une jeune Tadjike de 32 ans, se précipite en espérant voir sur le pas de la porte le père de ses quatre enfants, de retour au bercail.
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"Il est parti gagner de l'argent pour nourrir la famille, pour que les enfants puissent aller à l'école et grandir en bonne santé", explique Rano en soupirant.
Autrefois, "il y avait des jours où nous n'avions pas d'argent, même pour acheter du pain. Pour manger et s'acheter des vêtements, il a fallu que je vende les bijoux qu'on m'avait offert à mon mariage", raconte la jeune femme, qui vit avec ses enfants et sa belle-mère dans une modeste maison aux meubles usés.
Depuis que son époux est parti chercher du travail en Russie, il lui envoie chaque mois 10.000 roubles (230 euros). "On peut s'acheter à manger et de quoi s'habiller. J'essaie aussi d'économiser un peu, je sais qu'il a dû travailler dur pour gagner cet argent", dit Rano.
La vie des migrants est difficile en Russie où les violences xénophobes et racistes sont fréquentes, mais la situation économique au Tadjikistan ne laisse guère d'autre alternative.
"Mon mari qui travaillait comme chauffeur de taxi à Moscou a été un jour tabassé avec un objet métallique parce qu'il demandait qu'on le paie pour une course", raconte une femme de 43 ans. "Aujourd'hui, il est invalide, et pourtant il veut repartir", ajoute-t-elle.
Ravagé par la chute de l'URSS, qui a entraîné la fermeture d'une multitude d'usines, le Tadjikistan a aussi été déchiré par une guerre civile sanglante dans les années 1990, qui a fini de mettre son économie à genoux.
Aujourd'hui, le pays qui dispose de peu de ressources et dont la démographie augmente chaque année, est confronté à un excédent de main-d'oeuvre, essentiellement des jeunes peu qualifiés.
"L'émigration est un des facteurs qui a permis de réduire le taux de pauvreté dans le pays. Ca a aussi éliminé les tensions sur le marché du travail", commente pour sa part la sociologue Dilorom Rakhmatova.
Mais ce phénomène a aussi des conséquences désastreuses sur la société tadjike, selon certains observateurs.
"Cela a engendré de gros problèmes: les fondements de la famille sont fragilisés, les enfants grandissent sans père, les familles se décomposent", déclare M. Oumarov.
Par ailleurs, nombre d'enfants et d'épouses restant seuls au foyer tombent en dépression, souligne Akobir Zokhidov, porte-parole de l'Unicef à Douchanbé, la capitale tadjike.
"La dépression ne touche pas que les enfants, elle touche aussi les mères qui doivent assumer toutes seules le poids de l'éducation de leurs enfants", explique-t-il.
"Les enfants grandissent et ne voient pas leur père. Ils l'entendent seulement au téléphone", raconte ainsi tristement une femme de migrant à l'AFP.