Yves Bien-Aimé, un tailleur haïtien, tente de récupérer quelques meubles de son atelier de couture ensevelis sous d'épaisses couches de terre: deux semaines après l'ouragan Sandy, des pluies diluviennes ont transformé le Cap-Haïtien en un cimetière de boue.
"Les commandes ont été emportées, tout est irrécupérable", déplore cet artisan, une pelle à la main pour déterrer les restes de sa boutique.
Jeudi soir, des pluies diluviennes ont fait une vingtaine de morts et détérioré la deuxième ville du pays. Dans plusieurs quartiers, comme le bidonville de La Fossette, les maisons sont embourbées et les maigres biens des familles pauvres ont été emportés.
"Nous n'avions rien et maintenant nous avons tout perdu", résume Rochenel Cinéus, un père de famille de 36 ans, qui dort avec ses trois enfants dans la rue depuis les inondations.
Dans un autre quartier populaire, "An ba ravin'n" (sous la ravine, ndlr), les résidents se démènent avec les coulées d'eau, de terre et de détritus qui dévalent les pentes et dévastent les taudis construits les uns sur les autres.
Des femmes y lavent des tas de linges dans de larges cuvettes. A côté, un homme tente de déterrer des papiers, des livres.
"Mes chaussures, mon uniforme et mes cahiers sont perdus", explique Peterson Enelus, un écolier de 12 ans, en caleçon devant une fontaine d'eau.
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Le lycée Philippe Guerrier de la ville, une énorme construction qui accueille plus de 6.500 écoliers, est également sinistré et le directeur Michelet Saintilus a fait venir des travailleurs pour nettoyer les salles de classe inondées.
"Nous allons essayer de reprendre les cours au plus vite", promet-il. Pour lui, il faut des mesures fermes pour stopper les constructions anarchiques qui mettent la ville en péril.
"C'est le début d'une catastrophe. La ville du Cap-Haïtien est très vulnérable, il faut un Etat fort capable de prendre des mesures pour arrêter la dégradation".
"Nous n'avons d'espoir qu'en Dieu"
Une autre école tenue par les Frères de l'instruction chrétienne est transformée en partie en abri provisoire. Le directeur ne sait pas quand il va récupérer les espaces occupés par quelque 200 déplacés.
"Les autorités ont fait venir les gens ici. On attend", se résigne Frère Charles Coutard, un Français de Laval qui vit depuis plus de 40 ans en Haïti.
Le religieux qui effectue les cent pas dans la cour de l'établissement déplore la misère qui frappe Haïti et incrimine le déboisement, l'exode rural et l'instabilité politique.
"Le pays n'a pas de ressources. A peine deux milliards de dollars pour notre budget annuel, alors que les Américains viennent de dépenser six milliards pour une élection", compare-t-il.
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Depuis vendredi, de la nourriture venue de la capitale Port-au-Prince est distribuée avec difficulté dans les quartiers sinistrés du Cap-Haïtien. Quelque "7.500 kits, des paniers de solidarité, 3.500 plats chauds sont servis par jour", explique Klaus Eberwein, le directeur de l'organisme gouvernemental à la tête des opérations de sauvetage.
"Nous allons faire des distributions dans toutes les régions inondées. Des couvertures et des matelas vont arriver bientôt", assure-t-il.
Mais, les gens sont impatients et la grogne se fait entendre. "Depuis tout ce temps, nous n'avons pas vu les autorités. Maintenant, nous ne voulons pas de discours, mais des actions concrètes", s'insurgent des habitants.
Dans la foule, des sinistrés interpellent les élus. "Il faut deux grandes interventions: une aide d'urgence et un vaste programme de prévention pour éviter le pire", proposent en retour le député Kenston Jean Baptiste et le maire-adjoint Réginald Guerrier.
"Mais quand allez-vous changer notre situation?", lance un jeune homme, en vain. Une femme, plus loin, préfère s'en remettre à Dieu: "Nous n'avons d'espoir qu'en Lui".