La présidente argentine Cristina Kirchner traverse l'un des moments les plus difficiles depuis son arrivée au pouvoir, une nouvelle manifestation massive dans le pays illustrant la perte du soutien d'une partie des classes moyennes.
"Oui à la démocratie, non à la réélection", ont lancé jeudi soir des dizaines de milliers de manifestants dans les rues des principales villes du pays, dont Rosario (centre-est), Cordoba (centre), Mendoza ou Bariloche (ouest), dénonçant aussi l'insécurité ou la corruption.
"La présidente est en train de perdre le soutien d'une partie de la classe moyenne qui a voté pour elle il y a un an", a estimé la politologue Graciela Romer, interrogée par l'AFP.
"Il y avait beaucoup de femmes et de jeunes", a constaté l'analyste Jorge Giacobbe. "C'est un mouvement hétérogène, dont la base sociale s'est élargie par rapport au 13 septembre", a-t-il ajouté, rappelant une première manifestation.
Les manifestants ont rejeté la possibilité d'un troisième mandat de Mme Kirchner qui n'est pas prévu par la Constitution argentine. La présidente a été élue pour la première fois en 2007, puis réélue en octobre 2011.
Le gouvernement a la majorité au Congrès, mais pas les deux tiers de voix nécessaires pour réviser la Constitution. Des législatives de mi-mandat auront lieu en octobre 2013 en Argentine.
L'idée d'une deuxième réélection est lancée, selon certains analystes, dans le but de réaffirmer le pouvoir de la présidente qui, autrement, apparaîtrait comme un "canard boiteux".
D'autres estiment qu'il y a un noyau dur dans l'entourage de Mme Kirchner qui s'accroche à sa réélection comme seul moyen de rester au pouvoir, la présidente n'ayant pas de dauphin.
Plus de 80% de la population rejette néanmoins cette initiative, selon l'Institut Management & Fit.
"Le style présidentiel est rejeté", dit Graciela Romer en référence aux critiques des manifestants sur "le mépris" ou "l'autoritarisme" dont ferait preuve Mme Kirchner. Mais sont aussi visées les politiques publiques.
Les manifestants ont aussi accusé la présidente de "mentir" sur l'inflation.
Le Fonds monétaire international a prévenu en septembre qu'il sortirait un "carton rouge" si l'Argentine ne rectifiait pas sa mesure de l'inflation.
En 2011, l'Argentine a déclaré une inflation à 9,5% mais les instituts privés l'évaluent à 23%, voire 25%.
Ces manifestations interviennent alors que la croissance de l'économie argentine est passée de 9% en 2011 - année de la réélection de Mme Kirchner avec 54% des voix - à 2,2% cette année, selon les prévisions de la Banque mondiale.
En outre, le gouvernement a imposé de sévères contrôles sur le marché des changes, limitant la circulation de devises étrangères pour lutter contre la fuite de capitaux et faire face aux échéances de la dette.
Le pays se retrouve contraint de retenir ses devises car il n'a plus accès aux lignes de crédit internationales, suite à son défaut de paiement historique en 2001 sur plus de 100 milliards de dollars de dette.
Ces mesures compliquent la vie des Argentins qui voient dans le dollar une valeur refuge face à l'inflation.
La popularité de Mme Kirchner est en chute, après avoir été élue haut la main il y a seulement un an. "Son image positive est de 34% contre 60% la semaine de sa réélection", précise Jorge Giaccobe.
"Il y a aussi le ras-le-bol d'un cycle de dix ans", dit-il. Le mari de Mme Kirchner, Nestor Kirchner, décédé en 2010, était arrivé au pouvoir en 2003.
"C'est une sonnerie d'alarme", relève Graciela Romer.
Mais loin de corriger le tir, la présidente ne devrait rien céder, dit à l'AFP l'analyste Rosendo Fraga, expliquant: "c'est là une caractéristique essentielle de son action politique".