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Le Pakistan courtise les groupes extremistes

Des sunnites pakistanais manifestent contre le film anti-islam à Lahore le 23 septembre 2012, brandissant une pancarte "Maintenant, tous les musulmans seront des Oussama" [Arif Ali / AFP] Des sunnites pakistanais manifestent contre le film anti-islam à Lahore le 23 septembre 2012, brandissant une pancarte "Maintenant, tous les musulmans seront des Oussama" [Arif Ali / AFP]

Vingt-et-un morts, des scènes de chaos et un ministre qui appelle au meurtre : le gouvernement pakistanais a payé au prix fort son soutien très électoraliste à la mobilisation contre le film islamophobe, au risque de doper l'extrémisme dans un pays déjà instable.

Samedi, au lendemain de violentes manifestations dénonçant "L'innocence des musulmans", de loin les plus meurtrières dans le monde musulman, le ministre pakistanais des Chemins de fer, Ghulam Ahmed Bilour, a lâché une petit bombe en promettant 100.000 dollars à quiconque tuera le réalisateur du film américain.

Cette mise à prix en a rappelé une autre, restée aux yeux de l'Occident comme l'un des plus célèbres symboles du fondamentalisme islamiste: la fatwa lancée en 1989 par l'Iran contre l'écrivain Salman Rushdie, enjoignant les musulmans de tuer l'auteur des Versets Sataniques, jugés blasphématoires contre l'islam.

Le gouvernement pakistanais s'est empressé dimanche de prendre ses distances avec l'annonce de M. Bilour. "Nous nous en dissocions totalement", a déclaré à l'AFP un porte-parole du Premier ministre Raja Pervez Ashraf.

Islamabad n'avait pas besoin de cette nouvelle affaire, déjà sous le feu des critiques pour son incapacité à empêcher les violences vendredi lors d'une mobilisation initiée par les partis islamistes mais qu'il avait soutenue en décrétant un jour férié pour permettre à la population d'y participer.

Au final, le "Jour de l'amour du prophète" a fait 21 morts, plus de 200 blessés et donné lieu à des scènes de chaos à Islamabad, Karachi (sud) et Peshawar (nord-ouest). Et si cette mobilisation anti américaine est restée limitée (45.000 personnes dans les principales villes, pour un pays de 180 millions), les extrémistes, très visibles, y ont fait entendre leurs voix.

"Le gouvernement a mal calculé et mal joué. Il pensait que les manifestations seraient pacifiques. Mais il a sous-estimé la colère nourrie à la fois par le sentiment anti-américain et la crise économique", explique Najam Sethi, directeur du quotidien en anglais Daily Times.

"Il aurait dû parler au départ avec les partis religieux, leur permettre de manifester à certaines heures dans des parcs" poursuit-il.

Les manifestants -- menés par des militants de partis divers, groupes extrémistes et étudiants d'écoles coraniques -- ont au contraire investi la rue et fini par affronter les forces de l'ordre, notamment à mesure qu'ils se rapprochaient des consulats américains.

"Comme d'habitude, le gouvernement a joué avec le feu avec les partis islamistes, et il a perdu", relève l'analyste politique Hasan Askari. "En les rejoignant, il leur a permis de faire ce qu'ils voulaient", regrette-t-il.

Le pouvoir est accusé d'avoir fait le strict minimum en ne protégeant que les ambassades de ses bailleurs de fonds occidentaux à Islamabad. Laissant Peshawar ou Karachi à la merci des extrémistes, qui "voulaient des violences, car chaque fois cela affaiblit l'Etat", note M. Sethi.

Dimanche, alors que la mobilisation s'essoufflait, le quotidien en anglais The News retenait une "leçon amère" de ce vendredi où "l'extrémisme a prévalu et l'Etat s'est montré impuissant et complice de sa propre destruction".

Comme tous les autres partis pakistanais, le Parti du peuple (PPP) au pouvoir et ses alliés ont en vue les élections générales de début 2013 et ne veulent pas risquer de trop froisser les influents partis religieux, dans un pays qui n'a cessé de se radicaliser depuis 30 ans, note Najam Sethi.

Idem pour la mise à prix de la tête du réalisateur du film islamophobe. "Elle montre que même les responsables considérés comme modérés et séculaires utilisent l'islam à des fins de politique locale", explique l'analyste Rasul Bash Rais.

Dans sa région très conservatrice du nord-ouest, bastion des fondamentalistes talibans alliés à Al-Qaïda et où le sentiment anti américain est très fort, le parti du ministre Ghulam Ahmed Bilour, l'Awami National Party (ANP), se trouve plus que jamais sous la pression des partis religieux.

M. Bilour tente ainsi de montrer que le séculaire ANP n'a rien à leur envier en termes de radicalité, explique M. Askari.

Mais le pari est là aussi risqué. "C'est typique de la mentalité locale, mais cela va in fine attiser le fanatisme religieux et peut à long terme menacer la stabilité intérieure", selon M. Rais.

"La déclaration de Bilour est très embarrassante pour le Pakistan, notamment au niveau international. Cela montre que la pensée extrémiste imprègne jusqu'au gouvernement", note M. Askari. Et ce alors que le président Asif Ali Zardari doit s'exprimer mardi devant l'Assemblée générale des Nations Unies.

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