Les palais se succèdent, les statues rivalisent d'or et la propreté est impeccable, mais il est interdit de fumer dans la rue et Facebook est sur "liste noire": bienvenue à Achkhabad, capitale du Turkménistan, l'un des pays les plus secrets et isolés du monde.
L'atterrissage sur le petit aéroport d'Achkhabad donne un aperçu de cette ex-république soviétique au régime très autoritaire: les avions sur le tarmac appartiennent tous à la compagnie d'Etat Turkmenistan Airlines. Rares sont les compagnies étrangères qui desservent ce pays d'Asie centrale.
Arrivé au centre-ville, c'est un déluge de luxe: palais aux coupoles en or construits pour la plupart par le groupe français de BTP Bouygues, ministères et bâtiments en marbre blanc, hôtels cinq étoiles, fontaines et jets d'eau grandioses, feu de signalisation derniers cris et routes en excellent état.
Grâce aux immenses réserves de gaz de ce pays grand comme l'Espagne et désertique à 80%, le président Gourbangouly Berdymoukhamedov continue de faire bâtir des palais à Achkhabad, suivant l'exemple de son prédécesseur, l'excentrique Saparmourat Niazov, dit Turkmenbachi, président à vie décédé en 2006. Sa statue en or juchée sur une arche de 75 mètres de haut tourne sur elle-même de manière à ce que son visage soit toujours orienté vers le soleil.
Mais derrière ces apparences de grandeur et de beauté que cherche à donner le régime se cache une tout autre réalité à l'image des caméras de surveillance fixées au sommet de nombreux lampadaires en fer forgé un peu partout en ville. Le contrôle est sévère et les libertés sont restreintes.
Aucun mouvement d'opposition n'a jusqu'ici été autorisé dans ce pays qui a déclaré son indépendance après la chute de l'URSS en 1991, en dépit des réformes promises par le président Berdymoukhamedov, réélu en février avec un score digne des régimes les plus autocratiques de la planète (97,14%).
Toute critique de la politique du gouvernement est considérée comme une tentative de déstabilisation de l'Etat, passible d'une peine de 25 ans de prison. Les opposants sont en prison ou à l'étranger, résume un observateur.
Compte tenu de la fermeté du régime et des risques encourus, les habitants sont méfiants à l'égard de leurs interlocuteurs, a fortiori étrangers. Les rares personnes qui acceptent de parler se disent satisfaites, comme cette souriante vendeuse aux dents en or sur un marché d'Achkhabad, où il est interdit de prendre des photos: "Ici on est bien, c'est tranquille".
Même sentiment pour Mohammed, un chauffeur de taxi expliquant que le gaz et l'eau sont gratuits pour la population, que l'électricité, le téléphone et le chauffage ne coûtent presque rien en raison des aides de l'Etat: "On a largement de quoi manger et chez nous il n'y pas de guerre, que voulez-vous de plus?", lance cet homme de 44 ans interrogé sur les restrictions de libertés.
Entre autres interdictions, il est défendu de fumer dans les lieux publics, mais aussi dans la rue et au volant de sa voiture, au risque de se voir infliger une amende de 20 dollars. Les fumeurs sont acceptés seulement dans certains cafés et hôtels. D'où la tentation de fumer en cachette derrière sa voiture ou un pilier d'immeuble.
Dans ce pays de quelque six millions d'habitants au bord de la mer Caspienne entouré notamment par l'Iran et l'Afghanistan, les restaurants doivent fermer tous les jours à 23 heures et les McDonald's n'existent pas. Les rares discothèques, dans les hôtels pour étrangers, peuvent rester ouvertes plus longtemps.
Mais le centre-ville doit rester calme: interdiction de klaxonner, les véhicules de police ou de secours utilisent rarement leurs sirènes, et les automobilistes doivent limiter les décibels de leur radio ou CD au risque d'être sanctionnés.
Une fois la nuit tombée à Achkhabad, les éclairages aux couleurs les plus variées illuminent les palais, tours et fontaines, mais les rues et parcs sont quasi déserts.
Les divertissements sont limités, bien que le tout puissant président Berdymoukhamedov, dont les portraits dominent les routes du Turkménistan, ait autorisé à nouveau l'opéra, le théâtre et le cinéma qui avaient été supprimés par son prédécesseur.
Les médias sont contrôlés par l'Etat et la presse internationale est absente des kiosques. L'accès à internet se développe mais le réseau est étroitement surveillé par les autorités.
Dans l'un des rares café internet d'Achkhabad, un journaliste de l'AFP s'étonne de ne pouvoir se connecter à Facebook ou Twitter: "Ces sites sont inaccessibles au Turkménistan pour des raisons techniques", explique une responsable des lieux. Ces réseaux sociaux sont bloqués sur ordre du régime, selon des observateurs. Mais une astuce permet d'y accéder via un site russe, à condition de connaître la manipulation.
Il est également impossible de se connecter aux sites de Human Rights Watch (HRW) et d'Amnesty International, deux organisations qui dénoncent régulièrement les atteintes au droits de l'homme au Turkménistan, qui leur refuse tout accès. La Croix Rouge est parmi les rares ONG à avoir un bureau à Achkhabad.
Dans ce pays où les visas sont accordés au compte-gouttes, les journalistes autorisés à couvrir une conférence internationale, comme ce fut le cas la semaine dernière dans la capitale, sont très encadrés par les autorités qui les dissuadent d'entreprendre tout déplacement sans être accompagné par un officiel.
Autrement dit de faire état de tout ce qui déplaît au régime, ne serait-ce qu'une photo de la banlieue pauvre d'Achkhabad qui contraste avec la richesse clinquante du centre-ville.