Trente-trois ans après la mort de Robert Boulin, officiellement un suicide, un téléfilm aux allures de thriller diffusé sur France 3 le 29 janvier épouse la thèse de l'assassinat politique qui impliquerait Jacques Foccart, le "Monsieur Afrique" du général de Gaulle.
Ministre de Valéry Giscard d'Estaing, pressenti pour Matignon, M. Boulin avait été retrouvé mort dans l'Etang Rompu à Saint-Léger-en-Yvelines (Yvelines), dans 50 cm d'eau, le 30 octobre 1979.
Selon la version sanctionnée par la justice, Robert Boulin, mis en cause dans une affaire immobilière à Ramatuelle (Var), s'est suicidé en absorbant des barbituriques. Mais pour sa famille, il s'agit d'un assassinat politique.
"La famille considère, Fabienne sa fille en tête, que M. Boulin a été assassiné pour un mobile politique lié au fait que certains voulaient que Robert Boulin ne soit plus présent dans le paysage politique français", a rappelé Me Olivier Morice, conseil de la famille Boulin interrogé jeudi par l'AFP.
La thèse retenue par le téléfilm est celle d'un Robert Boulin, écarté du pouvoir, qui menace de révéler des malversations sur le financement des partis par des filières africaines, ce qui le rend gênant.
"Le moins que l'on puisse dire, c'est que beaucoup de choses contradictoires ont été dites et écrites à propos du ministre disparu", relève pour sa part Pierre Aknine, le réalisateur de ce téléfilm ("Affaire Boulin: crime d'Etat?").
"Cette fiction envisage des pistes que la justice aurait aussi dû examiner", a assuré Me Morice.
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"Un élément a emporté la conviction, ce sont les lividités cadavériques. Je me suis dit alors: quand bien même il se serait suicidé, il faut savoir pourquoi les lividités sont sur son dos alors qu'il a été retrouvé face contre terre!", ajoute-t-il.
Etang boueux
Selon la famille, le visage tuméfié de Robert Boulin ne colle pas avec la thèse du suicide. Elle relève également que ses chaussures et bas de pantalon ne portaient pas de traces de vase, signe selon elle que le ministre n'est pas entré seul dans l'eau. En outre, il présentait des traces de saignement de nez, et une deuxième autopsie a révélé en 1983 une fracture du nez et une autre du maxillaire supérieur.
Dès les premières minutes du film, le ton est donné: la théorie de l'assassinat ne souffre aucun doute. Des hommes arrivent à bord de deux voitures à côté d'un étang. Il fait nuit. Ils sortent un cadavre du coffre d'une des voitures et le jette dans l'étang. Une voix off commente: "L'homme que vous voyez, c'est moi, Robert Boulin, ministre du Travail et de la Participation...Vous avez pu constater que je ne suis pas venu tout seul au milieu de cet étang boueux, on m'y a jeté. On a assassiné un ministre de la République".
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Le scénario lance des accusations qui n'avaient jamais jusque-là été évoquées devant la justice: Jacques Foccart --l'éminence grise de la politique africaine française sous les présidences du général de Gaulle et de Georges Pompidou, avant d'être conseiller de Jacques Chirac à Matignon dans les années 1980-- serait directement impliqué dans l'assassinat. C'est dans la demeure de cet homme mort en 1997 que le ministre perd la vie après avoir été tabassé par des hommes de main.
Magouilles immobilières, conspiration politique, trahison entre amis, tous les ingrédients sont réunis pour faire de ce film un thriller politique palpitant, plutôt rare dans le paysage audiovisuel français. Il sera suivi d'un débat dans le cadre de l'émission "Ce soir (ou jamais!)" animée par Frédéric Taddeï. La veille, France 3 diffusera un documentaire sur l'affaire Boulin.
En 2011, la justice française a décidé de ne pas rouvrir l'enquête sur la mort de Robert Boulin. Déjà en 2010, le procureur général de Paris s'était opposé à la réouverture de l'enquête réclamée par sa fille, Fabienne Boulin-Burgeat, pour "charges nouvelles".