L'ode à la liberté féminine et à l'amour déluré de «Comme il vous plaira», comédie de Shakespeare jouée au Théâtre du Nord de Lille jusqu'au 31 janvier, est mise en scène avec une sobriété évocatrice par Christophe Rauck, qui refuse toute actualisation tape-à-l'oeil.
L'histoire de la pièce a pourtant tout pour trouver un écho avec l'actualité. Rosalinde fuit la cour de son oncle, le duc qui a exilé son père, en compagnie de sa cousine Célia. Dans la forêt «d'Ardenne», elles font une série de rencontres, dont celle d'Orlando, amoureux de Rosalinde, qui en menant la séduction éprouve sa liberté de femme.
Comment ne pas penser à cette récente tribune dans Le Monde où l'écrivaine Bélinda Cannone écrit : «Le jour où les femmes se sentiront parfaitement autorisées à exprimer leur désir, où l'entreprise de la séduction sera réellement partagée, elles ne seront plus des proies».
Car c'est Rosalinde qui ramène un Orlando transi d'amour à la réalité de la séduction. «L'amour ça ne se vit pas dans la poésie, mais en vivant avec l'autre personne», commente Christophe Rauck. La pièce veut montrer que «c'est bien beau de tomber amoureux, mais qu'après il faut le faire dans le temps».
Les savoureuses joutes amoureuses entre Rosalinde, déguisée en homme, et Orlando constituent le sommet de la pièce et redonnent de la légèreté, de l'insouciance et de la grâce aux relations hommes-femmes, après les agressions révélées dans le sillage de l'affaire Weinstein.
Le son, camarade de jeu
Pour autant, Christophe Rauck met un point d'honneur à ne surtout pas actualiser Shakespeare: «Dans les textes de répertoire, il n'y a pas d'actualité, mais de la modernité».
Il s'en tient donc à des décors certes beaux, mais minimalistes, la forêt étant ainsi figurée par de simples toiles de fond et des animaux empaillés. La mise en scène se veut épurée pour laisser le texte de Shakespeare déployer sa beauté évocatrice.
Christophe Rauck s'oppose aux mises en scènes modernisantes et clinquantes. Marivaux dans une entreprise ou un appartement bourgeois, très peu pour lui : «Le discours est écrasé par le visuel, alors que celui-ci doit juste être un signe pour qu'on le raccroche au texte», juge le metteur en scène.
Il ne s'interdit pas complètement les signes contemporains, pourvu qu'ils soient le strict véhicule de l'esprit originel de la pièce. Ainsi les acteurs utilisent-ils régulièrement des micros à main, sur pied ou à haute fréquence, pour que «le son soit un camarade de jeu», un de plus.
Dans cette histoire où la légèreté, l'insouciance et l'amour se conquièrent et se méritent, le metteur en scène a judicieusement opté pour un premier tiers lourd de menace et de violence latente, avec cette inquiétante note continue diffusée par des enceintes et une scénographie dominée par le noir.
Le célèbre monologue de Jacques Le Mélancolique sur les sept âges de l'homme trouve ainsi toute sa puissance : «Le monde entier est un théâtre (...) et chacun dans sa vie a plusieurs rôles à jouer».