Alors que le gouvernement a de grandes chances recourir au 49.3 pour faire passer son budget 2025, le projet pourrait toutefois être définitivement rejeté en cas de vote d’une motion de censure. Une situation qui plongerait la France dans une nouvelle situation inédite et vers un avenir incertain.
Un vide juridique. C'est une quasi-certitude : le budget 2025 devrait être adopté, avec des ajustements, par les sénateurs à la mi-décembre, conduisant de fait à l’organisation d’une commission mixte paritaire (CMP) pour sceller l’avenir du projet. Mais compte tenu des divergences entre les deux chambres, cette dernière pourrait ne pas déboucher sur un accord. Le cas échéant, le Premier ministre envisage de faire usage de l’article 49.3 pour faire passer le budget dans sa version initiale, conformément à ce qu’il a annoncé le 23 octobre dernier.
En passant en force sur le budget, le Premier ministre s’expose toutefois de manière quasi-automatique à une motion de censure, qui, si elle était votée par une majorité de députés, ferait tomber le gouvernement et rejetterait définitivement son budget. La France se trouverait alors dans une situation inédite, où même la Constitution ne serait d’aucune aide. En effet, un vide juridique entoure la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) dans le cas précis où les parlementaires s’obstinent à ne pas adopter le texte.
Une loi spéciale qui nécessite l’aval du Parlement
Dans la Constitution, un seul cas de figure est exposé : celui où le Parlement aurait échoué à se prononcer sur le projet de loi de finances dans un délai de 70 jours, après son dépôt, ou 50 jours dans le cas d’une loi de financement de la Sécurité sociale. Dans ce cas précis, selon l’article 47 de la Constitution, le gouvernement doit mettre en œuvre ses dispositions par ordonnance. Mais en l’occurence, si le Parlement rejette le texte, même via une motion de censure, il se prononce. La disposition est donc inapplicable.
Dans la situation actuelle, il est donc probable que le nouveau gouvernement formé à l’issue de la motion de censure dépose un nouveau projet de loi de finances en dehors des délais imposés par la Constitution, soit après le 31 décembre. Dans ce cas, la suite de l’article 47 de la Constitution intervient : «Si la loi de finances fixant les ressources et les charges d’un exercice n’a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice, le gouvernement demande d’urgence au Parlement l’autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés», détaille le texte.
Dans ce cas de figure, selon la LOLF, deux chemins sont possibles : soit le gouvernement doit demander un vote de l’Assemblée nationale sur la première partie de la loi de finances relative aux impôts, et se retrouve à la merci de son verdict. Soit il dépose au préalable, avant le 19 décembre, un projet de «loi spéciale» l’autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu’au vote final de la nouvelle loi de finances. Après avoir obtenu le feu vert sur le volet fiscal par l’un des deux biais, le gouvernement peut ensuite prendre des décrets pour le volet dépenses.
Toutefois, la LOLF précise que les décrets sont provisoires et que l’aval du Parlement est toujours nécessaire, à terme, afin de pouvoir prélever l’impôt. La LOLF précise également que dans son contenu, une loi spéciale ne peut pas contenir des nouvelles recettes fiscales. Elle doit uniquement se référer au précédent budget.
Mais même dans ces conditions, un nouveau vote défavorable des députés pourrait conduire au rejet de la loi spéciale, et donc du nouveau budget. Le gouvernement se retrouverait donc sans aucune possibilité de prélever des impôts ni de prévoir de nouvelles dépenses au 1er janvier 2025. Une situation intenable, notamment puisque dans une France sans budget, les fonctionnaires ne seraient plus payés.
Les pleins pouvoirs pour le président
Dès lors, une seule solution semble envisagée par les constitutionnalistes : celle du recours à l’article 16 de la Constitution, celui qui confère des pouvoirs exceptionnels au président de la République. Cet article 16 peut être déclenché si «les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu», dispose la Constitution.
Si cet article a été créé pour des conditions de guerre, il pourrait être appliqué dans ce cas de figure. Emmanuel Macron pourrait ainsi imposer le fonctionnement de l’État jusqu’à ce que les parlementaires se mettent d’accord. Les services publics pourraient fonctionner et les impôts seraient prélevés. Néanmoins, après trente jours d’exercice des pouvoirs exceptionnels, le Conseil constitutionnel peut être saisi par le président de l’Assemblée nationale, le président du Sénat, ou 60 parlementaires, pour vérifier si les conditions de cet article 16 sont toujours remplies.
«notion de continuité de la vie nationale»
Jusqu’ici, la Ve République n’a connu que deux petits «accidents» en termes de procédure parlementaire pour l’adoption du budget. À chaque fois il n’était question que de calendrier et le gouvernement s’en est toujours sorti grâce à un accord des parlementaires. Cette année, en cas de rejet persistant, le gouvernement pourra aussi se référer à un texte adopté en 1980 dans une situation similaire, et validé par le Conseil constitutionnel au nom de la «notion de continuité de la vie nationale».
En 2001, cette jurisprudence a été intégrée dans la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Cette notion pourrait ainsi être centrale dans les débats à venir pour éviter à la France de tomber dans une paralysie complète et de se diriger vers une potentielle crise financière.