Quatre ans après le sordide assassinat du professeur d'histoire-géographie Samuel Paty par un jeune islamiste radical, la cour d'assises spéciale de Paris va juger, à partir de ce lundi 4 novembre, sept hommes et une femme impliqués dans la campagne de haine et d'intimidation qui a précédé le crime.
À compter de ce lundi 4 novembre, la cour d’assises spéciale de Paris doit se pencher sur l’un des procès les plus attendus en cette fin d’année. Il s’agit de celui de l’assassinat de Samuel Paty, professeur d'histoire-géographie décapité peu après être sorti de son collège de Conflans-Sainte-Honorine, dans les Yvelines, le 16 octobre 2020.
Ainsi, huit personnes, sept hommes et une femme, doivent comparaître à compter de ce lundi et jusqu’au 20 décembre prochain devant cette cour spéciale.
Les prévenus sont suspectés d’être impliqués dans la campagne de haine et d’intimidation menée auprès du professeur d’histoire-géographie avant son assassinat. Deux des accusés sont jugés pour complicité d'assassinat terroriste, un crime passible de la perpétuité ; les six autres pour association de malfaiteurs terroriste criminelle.
Avant sa mort, Samuel Paty avait été la cible d’une intense campagne de cyberharcèlement. L'assaillant, Abdoullakh Anzorov, un jeune Russe de 18 ans d'origine tchétchène, bénéficiaire du statut de demandeur d'asile en France, sera le grand absent de ce procès : il a été tué par la police peu après son acte.
Brahim Chnina
De nationalité marocaine, Brahim Chnina, 52 ans, est le père de la collégienne à l'origine de la polémique sur des cours dispensés par Samuel Paty et sa présentation de caricatures de Mahomet.
Co-fondateur d'Aide-Moi, une association d'aide aux personnes à mobilité réduite pour se rendre notamment en pèlerinage à La Mecque, il est accusé d'avoir lancé, avec Abdelhakim Sefrioui, une vaste campagne de cyberharcèlement contre le professeur.
Les 7 et 8 octobre 2020, il a publié des vidéos pour stigmatiser Samuel Paty et le désigner comme une cible, ainsi que des renseignements précis sur son identité et son lieu d'exercice professionnel.
Entre le 9 et le 13 octobre, Brahim Chnina a eu neuf contacts téléphoniques avec Abdoullakh Anzorov.
En détention provisoire depuis le 21 octobre 2020, il cherche, selon l'administration pénitentiaire, à se positionner comme victime ne reconnaissant aucune responsabilité dans les faits qui lui sont reprochés.
Abdelhakim Sefrioui
Abdelhakim Sefrioui, Franco-Marocain de 65 ans, est un militant islamiste, fondateur du collectif pro-Hamas Cheikh Yassine, dissous le 21 octobre 2020.
Il est accusé d'avoir participé avec Brahim Chnina «à l'élaboration et la diffusion de vidéos présentant des informations fausses ou déformées destinées à susciter un sentiment de haine» à l'égard de Samuel Paty. Il comparaîtra détenu au procès et encourt, comme Brahim Chnina, trente ans de réclusion criminelle.
Ses avocats dénoncent une «aberration intellectuelle et judiciaire», estimant qu'aucun contact n'a été établi entre le prévenu et Abdoullakh Anzorov et qu'il n'existe pas de preuve que l'assaillant ait vu la vidéo postée par leur client cinq jours avant le crime.
Dans cette vidéo, le militant islamiste dénonçait notamment une France islamophobe et qualifiait Samuel Paty de «voyou enseignant».
Lors d'un interrogatoire, Abdelhakim Sefrioui a expliqué qu'il n'aurait jamais posté sa vidéo s'il avait pu imaginer «un milliardième de chance que cela arrive». «On voulait juste des sanctions administratives» contre Samuel Paty, a-t-il soutenu.
Naïm Boudaoud
Ce Français de 22 ans est l'un des deux accusés, avec Azim Epsirkhanov, poursuivis pour «complicité d'assassinat».
Décrit par l'accusation comme «particulièrement vulnérable», «influençable» et «sans aucun signe visible de radicalisation violente», il a fréquenté Azim Epsirkhanov et Abdoullakh Anzorov «multipliant les services» à l'un ou à l'autre.
La veille de l'attentat, en compagnie de son co-accusé, il a véhiculé Abdoullakh Anzorov dans une coutellerie de Rouen pour l'achat d'un couteau correspondant à celui retrouvé à proximité de son cadavre. Le jour de l'assassinat, Naïm Boudaoud a accompagné l'assaillant dans un magasin de Cergy (Val d'Oise) pour l'achat de pistolets Airsoft et de billes d'acier.
Azim Epsirkhanov
Ce Russe d'origine tchétchène de 23 ans est arrivé en France en décembre 2010.
Il s'est rendu complice, selon l'accusation, de l'assassinat de Samuel Paty «en aidant et accompagnant activement» son ami «de longue date» Abdoullakh Anzorov, rencontré au collège en 2013, «dans la recherche et l'achat d'armes».
En audition, Azim Epsirkhanov a reconnu avoir reçu la somme de 800 euros de la part d'Abdoullakh Anzorov pour lui procurer une arme à feu en urgence, ce qu'il n'a pas réussi à faire.
Yusuf Cinar
De nationalité turque, l'accusé de 22 ans a partagé un groupe Snapchat baptisé «Zbrr» avec Abdoullakh Anzorov qu'il considérait comme «un ami proche», voire «comme un frère».
Ce groupe qui diffusait de la propagande jihadiste a publié après l'attentat le message de revendication d'Abdoullakh Anzorov et des photographies du corps de Samuel Paty. Et postérieurement des vidéos en hommage à l'assaillant.
Déscolarisé dès 14 ans, alcoolique et vivant principalement du trafic de stupéfiants, il est incarcéré depuis octobre 2020. Sa détention a été rythmée par de nombreux incidents dont une tentative de suicide en novembre 2020.
Ismaïl Gamaev
Entré clandestinement en France en 2013, Ismaïl Gamaev, Russe d'origine tchétchène aujourd'hui âgé de 22 ans, bénéficiait du statut de réfugié et avait une carte de résident valable jusqu'en août 2020.
Selon l'accusation, il a «participé activement» avec Abdoullakh Anzorov et Louqmane Ingar (un autre accusé) à un groupe Snapchat échangeant, de manière anonyme et cryptée, des messages à contenus jihadistes.
Il aurait notamment «conforté Abdoullakh Anzorov» dans son projet d'assassinat dans les semaines précédant le passage à l'acte. Il a par ailleurs publié des smileys souriants après la diffusion sur son groupe Snapchat, baptisé «Étudiants en médecine», de la tête décapitée de l'enseignant.
Il est actuellement sous contrôle judiciaire après deux ans de détention provisoire.
Louqmane Ingar
Louqmane Ingar, 22 ans, est accusé d'avoir administré et «participé activement» au même groupe Snapchat qu'Ismaïl Gamaev.
Il envisageait, selon l'accusation, de quitter la France pour rejoindre l'Afghanistan ou la Syrie «dans les rangs d'une organisation terroriste». Il a passé un an en détention provisoire avant d'être placé sous contrôle judiciaire le 10 novembre 2021.
Priscilla Mangel
Priscilla Mangel, 36 ans, est la seule femme à être jugée. Convertie à l'islam à l'âge de 16 ans, elle a été mariée à Yacine Benhamouda, connu pour son appartenance à la mouvance islamiste radicale. Elle-même est apparue dans plusieurs procédures antiterroristes.
L'accusation lui reproche notamment d'avoir échangé «de manière discrète» sur le réseau social X avec Abdoullakh Anzorov «dont l'idéologie n'était pas dissimulée».
Sous pseudonyme, elle aurait notamment présenté à l’assaillant le cours de Samuel Paty comme «l'illustration de la guerre menée par les institutions républicaines contre les musulmans». Ce genre d'échanges a «conforté» l'assaillant dans son projet, a estimé l'accusation. Elle est sous contrôle judiciaire depuis le 25 juin 2021.