On appelle «cohabitation» la situation politique lors de laquelle un président de la République dirige avec un Premier ministre d’une autre formation politique, en raison d’une majorité qui lui est opposée à l’Assemblé nationale.
Les élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet détermineront si oui ou non Emmanuel Macron dirigera dans une situation de coalition. Explications.
Pourquoi la cohabitation est-elle possible ?
Deux mesures, prises au cours de la Ve République, ont eu pour conséquence de diminuer les risques de cohabitation. Le referendum de 2000 a instauré un mandat présidentiel de cinq ans au lieu de sept, la même durée que le mandat des députés. Et l’année suivante, une loi a repoussé la date des élections législatives afin qu’elles interviennent après l’élection présidentielle.
Ces deux mesures instauraient une rupture par rapport au fonctionnement en place jusque-là, puisqu’avant 2001, les législatives - qui intervenaient donc au cours du mandat présidentiel - étaient l’occasion, pour le peuple, de se prononcer sur le travail du chef de l'État et du gouvernement.
Ainsi, en plaçant les législatives juste après la présidentielle, les députés de l’époque pariaient sur le fait que les Français ne pouvaient pas changer d’avis en seulement un mois d’intervalle, d’une élection à l’autre. C’était effectivement le cas avec une alternance gauche-droite traditionnelle.
Sauf que cette année, tous les pronostics ont été déjoués avec la dissolution surprise de l'Assemblée nationale par Emmanuel Macron, après sa défaite aux européennes du 9 juin dernier. Selon l'article 20 de la Constitution, «le Gouvernement détermine et conduit la politique de la nation». Par conséquent, le Premier ministre dirige l'action de ce dernier. Cependant, le président reste le seul à pouvoir signer des décrets et des ordonnances en Conseil des ministres, ou encore saisir le Conseil constitutionnel une fois une loi demandée et il conserve son droit de dissoudre l'Assemblée. S'il le souhaite, Emmanuel Macron pourra donc encore l'ordonner d'ici un an.
Dans quels cas y a-t-il cohabitation ?
Concrètement, il y a cohabitation si un parti - ou une coalition de mouvements – opposé au chef de l'État obtient la majorité absolue à l’Assemblée nationale, c’est-à-dire plus de 50 % des députés. Dans ce cas, le gouvernement est alors, théoriquement, de la couleur politique de la majorité des députés. Si, à l’inverse, l’opposition n’a qu’une majorité relative, le président peut négocier avec les différents partis, et il ne s’agit pas d’une cohabitation.
Le président doit-il démissionner s’il n’a pas la majorité à l’Assemblée ?
Par tradition, le chef de l'État est politiquement irresponsable. Cela signifie qu’il ne doit rendre des comptes ni à ses ministres, ni aux députés. Ils ne peuvent donc pas le forcer à démissionner en cas de désaccord. C’était déjà le cas durant les IIIe et IVe Républiques, et cette règle fut inscrite dans la Constitution de 1958, instaurant la Ve République.
En 2007, une révision constitutionnelle a mis en place la possibilité de destitution du président, et donc sa responsabilité, mais seulement dans des cas très restreints : si ses actes ont porté atteinte à la fonction de président ou encore en cas de haute trahison.
Qui devient Premier ministre ?
Selon l’article 8 de la Constitution, la nomination du Premier ministre est un pouvoir du chef de l'État. Il n’est donc pas juridiquement obligé de choisir quelqu’un de l’opposition en cas de cohabitation avec une Assemblée qui lui est politiquement opposée. C’est cependant une obligation implicite, nécessaire au bon fonctionnement du pays.
Si le président ne choisit pas son Premier ministre dans les rangs de la majorité parlementaire, il risque de se mettre l’Assemblée à dos, et celle-ci pourrait soit refuser de voter toute les lois et donc entrainer un blocage du pays, soit décider d’une motion de censure pour destituer le Premier ministre. Étant donc dans un rapport de force défavorable, le Président a, en cas de cohabitation, tout intérêt à choisir un Premier ministre appartenant à la majorité législative.
Le Président peut-il renvoyer son Premier ministre ?
Le Président a le pouvoir de nommer son Premier ministre. Il a donc été communément admis qu’il peut aussi le destituer. Pourtant, dans la Constitution, il n’est pas écrit que le Premier ministre est responsable devant le président : il ne l’est que devant l’Assemblée. Cela signifie que le Premier ministre ne doit répondre de ses actes que devant les députés. C’est donc l’interprétation de l’article 8 qui autorise un président à demander la démission de son Premier ministre.
Quels sont les pouvoirs de chacun ?
En cas de cohabitation, les pouvoirs du président sont plus restreints qu’avec une majorité législative. Le chef de l'État assure la représentation du pays à l’international et gère la politique extérieure. Il continue de présider le Conseil des ministres, où il peut faire part de ses idées.
Le président peut aussi refuser de signer des ordonnances. Son refus a valeur de véto, car sa signature est absolument nécessaire pour faire passer une ordonnance. Mais le gouvernement peut contourner ce refus en passant par le biais ordinaire pour promulguer des lois. De son côté, le Premier ministre nomme le gouvernement et décide de la politique intérieure du pays. Les députés, eux, votent – ou non - les lois.
À quels blocages peut conduire une cohabitation ?
La cohabitation peut amener à deux grands changements. L’assemblée peut faire une motion de censure, pour renverser le Premier ministre et conduire à la démission du gouvernement. Une seule a fonctionné sous la Ve République, contre Georges Pompidou en 1962.
Le président peut dissoudre l’Assemblé nationale. C’est d’ailleurs déjà arrivé à plusieurs reprises dans la Ve République. En 1962, à la suite d'une motion de censure contre son gouvernement, Charles de Gaulle a dissout l’Assemblée. Il a réitéré en 1968, cette fois comme un test de confiance pour évaluer si le peuple français validait ou non sa politique, puisque le pays faisait face à la crise de mai 68 et à la colère de la rue.
François Mitterrand (socialiste) a dissout deux fois l’Assemblée, lorsqu’elle lui était défavorable. Une première fois en 1981, lorsqu’à son arrivée au pouvoir l’Assemblée, élue en 1978, était majoritairement à droite. Une seconde fois en 1988 après sa réélection. En effet, depuis les législatives de 1986, c'est la droite qui disposait de la majorité. En procédant à une dissolution, François Mitterrand est parvenu à récupérer la majorité.
Jacques Chirac, élu en 1995, dissout l’Assemblée en 1997 un an avant les élections législatives officielles. Elle était majoritairement à droite comme lui, mais très fracturée. Finalement, la dissolution amènera une majorité de gauche et entrainera une cohabitation qui durera jusqu’en 2002.
Quelles ont été les précédentes cohabitations ?
1986-1988 : François Mitterrand, socialiste, a perdu la majorité aux élections législatives de 1986. Il a été contraint de prendre un Premier ministre du RPR, et Jacques Chirac est donc devenu le chef du gouvernement pendant deux ans.
1993-1995 : Comme lors de son précédent mandat, François Mitterrand était obligé de cohabiter pendant deux ans avec l’opposition, à la suite des législatives perdues lors desquelles le parti socialiste a été balayé. Il a nommé Edouard Balladur, de la coalition de droite autour de l’Union pour la France, Premier ministre.
1997-2002 : Après que Jacques Chirac a dissout l’Assemblée à cause de désaccords au sein de la droite, le parti socialiste est redevenu majoritaire lors des élections législatives de 1997, forçant le président à nommer un Premier ministre de gauche : Lionel Jospin.