Le GIGN fête ses 50 ans ce 1er mars 2024. À l'occasion de ce demi-siècle, Christian Prouteau, fondateur du corps d'élite et commandant historique, a raconté à CNEWS la genèse du Groupe d'intervention de la Gendarmerie nationale.
«Sauver des vies au péril de la sienne». Il y a 50 ans, le GIGN voyait le jour et avec lui sa mission de protéger la vie quoi qu'il en coûte. À l'occasion de cet anniversaire, Christian Prouteau, le fondateur et commandant historique, s'est remémoré pour CNEWS la naissance de ce corps d'élite français.
De Cestas à Munich, un contexte tendu
Si le GIGN a vu le jour en 1974, peu de temps après l'attentat de Munich en septembre 1972, il ne s'agit pas de la seule affaire qui a poussé la Gendarmerie française à réfléchir à la création d'une force spéciale.
«Cela remonte à une réflexion qui va au-delà de cela puisque la Gendarmerie s’était trouvée confrontée, comme toujours, à des situations spécifiques complexes», a confirmé Christian Prouteau qui poursuit, «il y a deux affaires emblématiques et douloureuses, qui s’étaient déroulées une en 1969 et une en 1971, qui ont poussé à se rendre compte que des opérations avec des gens pas entraînés pour cela conduisaient à des drames.»
La première de ces affaires est celle de Cestas qui a eu lieu en février 1969 et que Christian Prouteau a rappelé à CNEWS.
«À Cestas, c’était un père qui, après une décision de justice, perd la garde de ces enfants et menace de les tuer si on ne lui rend pas. Tout le monde pensait, et c’est souvent un problème d’analyse psychologique, qu’un père ne tue pas froidement ses propres enfants. Dans ces situations de crises, l’auteur est dans un état d’exception, c’est-à-dire l’état en l’instant et qui n’a rien à voir avec le comportement de monsieur et madame tout le monde du quotidien. Une mauvaise analyse de ces situations conduit souvent à des drames.
En l’occurrence à Cestas, la certitude, c’était qu’un père ne tue pas ses enfants et on a obligé l’officier de Gendarmerie à faire cesser la crise et à lancer une intervention. Le père a mis ses menaces à exécution. Bilan, trois morts, les deux enfants et le père qui se suicide.»
L'autre affaire, elle aussi largement médiatisée, s'est déroulée en septembre 1971 dans la maison d'arrêt de Clairvaux. Deux détenus, Claude Buffet et Roger Bontems, prennent en otage l'infirmière et un gardien.
«Là aussi, il y a eu une erreur d’approche du procureur, des autorités qui étaient sur place, y compris les gendarmes, qui disent, un homme ne va pas égorger froidement une femme. À la limite, ce qu’ils allaient faire sur l’homme, tout le monde s’en fichait. Donc il y a eu une opération avec des gens pas entraînés, dans une prison faite pour ne pas en sortir mais difficile d’accès quand les preneurs d’otages ont les clés. Durant l’assaut, les détenus ont assassiné le gardien de prison et l’infirmière en les égorgeant», a relaté l’ancien commandant du GIGN.
Deux drames qui ont douloureusement impacté, «la Gendarmerie dans son ensemble mais aussi au niveau de l'opinion publique où on acceptait de plus en plus mal que la Gendarmerie n'ait pas les moyens pour intervenir.»
«C'est malgré tout, c'est Munich qui a forcé la décision» de la création du GIGN.
La nécessité d'une force spéciale
Face à cette multiplication des drames, des prises d'otage et des détournements d'avions (80 pour la seule année 1969), l'idée d'une force d'intervention spéciale prend de l'ampleur.
À la sortie de l'école de Gendarmerie en 1972, le constat est le même pour Christian Prouteau, «on ne peut pas continuer comme cela. Il faut des gens entraînés et préparés pour résoudre ce genre de crises».
À l'époque, la Gendarmerie organise des formations gérées par des jeunes officiers sortis de l'académie de Melun, dont fait partie Christian Prouteau. L'officier qui commandait alors ce centre, le colonel Jean-Pierre Baux (capitaine à l'époque) est chargé, après l'attentat de Munich, de choisir un officier à même de créer une unité spécifique. Son choix se porte sur Christian Prouteau, qui selon lui a une approche différente.
«Comme instructeur, j'étais un peu atypique. Je considérais qu'on utilisait des moyens militaires sans prendre en compte le fait que dans un assaut militaire, vous n'avez pas un rempart humain d'innocents entre vous et la cible. On ne prenait pas assez en compte la partie psychologique de l’événement. J’avais engagé dans les exercices des espèces de jeux de rôle où je demandais au garçon qui jouait le preneur d’otage de le jouer jusqu’au bout. Cela entraînait de fait la nécessité de discuter et non pas simplement d’aller à l’assaut en tirant», s'est remémoré l'intéressé.
Le 24 mai 1973, Christian Prouteau est convoqué et on lui confie officiellement la mission de créer une unité anti prise d’otage. Le nouveau commandant se lance dans le recrutement de volontaires et met en place l'entraînement. L'unité doit être opérationnelle le 1er mars 1974, date qui marquera son anniversaire.
La frustration de janvier 1975
Si le GIGN est à présent opérationnel, le groupe d'intervention n'est pas forcément appelé pour mener les opérations dans certaines affaires. C'est notamment le cas en janvier 1975 avec l'affaire des attentats d'Orly et de la prise d'otage menés par le terroriste Carlos et deux autres hommes.
«On ne savait pas encore que c'était Carlos mais on savait que c'étaient des Palestiniens» du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), s'est rappelé Christian Prouteau.
«On aurait pu neutraliser Carlos et ses complices pendant la prise d’otage dans les toilettes de l’aéroport. Mais à l’époque, Valéry Giscard d’Estaing et le ministre de l’Intérieur, Michel Poniatowski, craignant que le GIGN n’ait pas la capacité de résoudre la prise d’otage, ont préféré négocier le départ du commando alors que nos tireurs d’élites auraient pu les neutraliser.»
Le commando a quitté Orly pour se réfugier en Libye mais Carlos est revenu un mois plus tard en France et a participé à l'attentat du RER de Saint-Michel qui a fait 8 morts et 117 blessés.
«Vous comprenez notre déception de se dire que l’on aurait pu éviter tout ça. Cela a été un travail de longue haleine malgré les succès que nous avions obtenus depuis le 1er mars 1974. On n'était pas assez connu pour pouvoir intervenir dans une opération où si nous étions intervenus, aurait empêché Carlos de continuer à nuire», a continué l’ancien militaire.
Djibouti, une reconnaissance mondiale pour le GIGN
Il faudra attendre février 1976 et la prise d'otage de Loyada à Djibouti pour que le GIGN jouisse enfin d'une reconnaissance nationale, qui s'avèrera également mondiale. Lors de cette opération, 31 enfants français sont pris en otage dans un bus scolaire par des terroristes du Front de libération de la Côte des Somalis (FLCS).
«J’avais mis au point un nouveau système parce que j’avais vu ce qui s’était passé à Munich, où les tireurs d’élite ‘n’avaient pas été formés’ et avaient conduit à l’échec de l’opération. Ce système que l’on appelle tir simultané permet d’éliminer les preneurs d’otages tous en même temps sans qu’ils n’aient le temps de se retourner contre les otages. C’est comme ça que nous avons réussi cette opération qui a permis la libération des enfants», a détaillé le fondateur du GIGN.
«Ça a été le moment où le monde entier a découvert le nom d’une unité spéciale, qui s’appelle le GIGN et qui a fait que l’on a formé pendant des années des unités aussi importantes que le groupe américain Delta».
«Personne ne pouvait imaginer qu'on pouvait éliminer cinq preneurs d’otage, deux dans le bus et trois à l’extérieur dans la même seconde, les tireurs se trouvant dans une zone désertique. On est intervenu à 15h43 après s’être mis en place vers 6h du matin. Donc six heures dans le sable sans boire, sans manger, il fallait que les gens soient déterminés. J'ai commandé cette opération, on était neuf et ça a été pour le monde entier une révélation», a-t-il poursuivi.
Cependant, si Christian Prouteau a confirmé que cette opération était celle qui avait permis la consécration du Groupe d’Intervention de la Gendarmerie nationale, elle n’en reste pas moins à ses yeux un échec.
«Ce qui est assez douloureux, c’est que pour tout le monde, c’était un succès parce qu’on en a sauvé 29 mais je dis toujours, il en manque deux», a-t-il rappelé. En effet, alors que le GIGN poursuit son intervention vers le bus, un des terroristes qu’ils pensaient en fuite est revenu et a pris un enfant en otage dans ses bras. «Au moment où nous sommes arrivés sur le bus, il a tiré une rafale qui malheureusement a tué deux petites, Nathalie et Valérie et pour nous c’est le drame absolu. Je traîne ça depuis ce 4 février 1976».
La précision des détails qui restent gravés dans l'esprit de Christian Prouteau impressionne. «J'ai eu l'honneur de commander 64 opérations à la tête de mes hommes et je vous assure que je suis capable de vous dire où étaient chacun de mes hommes durant ces opérations. J'ai quitté le GIGN il y a 40 ans et pour moi, c'était hier», a-t-il confié.
Le GIGN évolue mais demeure
50 ans après le début de corps d'élite, que peut bien ressentir, l'homme qui en est à son origine ? «Ce que je ressens, c'est une sorte de fierté que je dois aussi à mes hommes, parce que l'on n'est pas tout seul dans ce métier.»
«Le GIGN a été le modèle et continue d’être le modèle d’un certain type opérationnel», comme l’a rappelé Christian Prouteau, qui s’est remémoré amusé : «La descente en corde lisse que l’on voit dans tous les films d’action, c’est le GIGN qui l’a inventé. Jamais quelqu’un n’était descendu au bout d’une corde accroché à un hélicoptère avant le GIGN. Hors maintenant, vous n’avez plus un film d’action, même dans la Guerre des étoiles, ils arrivent à en mettre une, c’est pour vous dire à quel point ça a eu du succès».
Mais au-delà de cette reconnaissance mondiale et cinématographique, ce qui rend le plus fier ce commandant historique, c'est de voir que les valeurs morales portées par le GIGN restent intactes malgré les années.
«Les hommes du GIGN ne sont pas les exécuteurs de hautes. Ils ne viennent pas venger la démocratie, on doit amener des gens à la Justice. Le GIGN a toujours voulu préserver cet élément essentiel qu’est la vie», a-t-il tenu à rappeler, évoquant une formule interne utilisée lors des formations des hommes :
«Si votre arme est le substitut à votre courage, vous n’avez pas votre place au GIGN», une façon de dire que l’arme n’est qu’un outil de plus et qu’elle ne doit pas être utilisée si cela peut être évité.
«L’une des dernières opérations du GIGN a perdu un de ses hommes. Le forcené qui l’a tué a été arrêté vivant. Il faut mesurer ce que cela représente. Ils auraient pu le tuer, c’était facile et malgré le décès de leur camarade, ils l’ont pris vivant. Et je trouve que tant que cette valeur existera au groupe, le groupe sera la plus belle unité du monde», a conclu ému Christian Prouteau.