Malgré les très importants progrès de la science sur le VIH, découvert il y a 40 ans, une étiquette mortifère reste collée sur la maladie du sida, et de nombreuses personnes séropositives vivent encore des situations discriminantes, alerte Florence Thune, directrice générale du Sidaction.
Oui, le virus du sida circule toujours, et les idées reçues sur la maladie également. À l’occasion de la journée internationale de lutte contre le sida, Florence Thune, directrice générale du Sidaction, revient pour CNEWS sur la perception du sida dans notre société, et les clichés qui y sont associés, 40 ans après la découverte du VIH.
CNEWS : Nous sommes en 2023, le VIH a été découvert il y a 40 ans. Au cours de ces années, quelles évolutions avez-vous constatées sur le rapport de la population avec le VIH/sida ?
Florence Thune : Quarante ans, c'est une longue période. On est passé d'une phase où, dans les années 1980 et 1990, le VIH était au centre des préoccupations. Avant l'arrivée des traitements en 1996, il y avait des morts du sida, y compris des personnes jeunes. On est allé jusqu'à 4.000 décès en France, au pic en 1993. On avait sur cette première décennie, une perception de peur face à l'inconnu, parce qu'on ne savait pas encore trop comment le VIH se transmettait. Il y avait alors de grandes campagnes, dans tous les milieux, pour parler des moyens de prévention, du préservatif etc.
Le tournant est apparu à partir de la fin des années 1990, lorsqu'on a eu des gros progrès sur les traitements, et une chute importante des décès, et tant mieux. Tout au long des années qui ont suivi, l’attention sur la question du VIH a diminué. À partir des années 2000, on a constaté un éloignement de la question du VIH, et le sentiment qu'on n'en mourrait plus. Au cours des dix ou quinze dernières années, on a presque eu l'impression que le virus avait disparu.
On voit, grâce à notre sondage Ifop, que l'on fait depuis 2009, une dégradation des connaissances sur les moyens de prévention. C'est paradoxal : les jeunes se sentent plutôt bien informés, mais se sentir bien informé ne signifie pas forcément avoir les bonnes informations.
Les jeunes et les moins jeunes ont par ailleurs le sentiment que l'épidémie est terminée, et cela atteint toutes les générations. Il y a notamment un nombre croissant de personnes de plus de 50 ans qui découvrent leur séropositivité, il faut le souligner.
Considérez-vous que les Français sont plutôt moyennement informés sur le VIH, ses modes de transmissions et ses traitements ?
À la fois, il y a des idées erronées sur certains modes de prévention, qui n'en sont pas, et aussi une faible connaissance des nouveaux modes de prévention. Tout le monde connaît le préservatif, mais il y a par exemple une méconnaissance de la PrEP (prophylaxie pré-exposition, traitement préventif pour prévenir l'infection par le VIH, ndlr).
Beaucoup de personnes ne vont pas se faire dépister, soit parce qu'elles considèrent qu'elles ne sont pas concernées, soit parce qu'elles ont peur d'apprendre qu'elles sont séropositives. Or, si on est dépisté et que l’on a accès au traitement, on reste en bonne santé. Beaucoup de personnes ont encore une image trop mortifère du sida et peur irraisonnée des personnes séropositives.
Il y a une peur moins importante du virus, puisque beaucoup considèrent qu'il n'est plus là, mais il persiste une peur des personnes séropositives.
Quelles sont les idées reçues qui circulent le plus sur les personnes séropositives et le VIH/sida ?
Ce qui revient le plus, c'est par exemple le fait que l'on puisse être infecté en embrassant une personne séropositive. Aujourd'hui, 30% des jeunes le pensent encore. On parle souvent du baiser de Clémentine Célarié en 1994, comme de quelque chose d'incroyable. Aujourd'hui, on aurait bien besoin à nouveau de ce baiser.
Il y a une vraie peur d'être en contact avec les personnes séropositives.
Il y a une vraie peur d'être en contact avec les personnes séropositives. Les chiffres sont aussi affolants concernant les faux modes de prévention : beaucoup trop de jeunes croient encore que la pilule contraceptive et les produits intimes protègent du VIH. On a vraiment besoin d'un effort de prévention et de communication.
Qu'est-ce qui explique, selon-vous, que les jeunes soient plus perméables à ces idées-reçues ?
C'est certainement lié à l'absence d'une prévention efficace dès le plus jeune âge, à l'école. Beaucoup de jeunes nous disent qu'ils n'ont pas les trois séances d'éducation à la sexualité, qui sont pourtant obligatoires. La question du VIH est donc moins abordée.
Il y a évidemment aussi toutes les fausses informations qui circulent sur les réseaux sociaux, et le fait de moins faire confiance à la science. Cela génère du doute parmi les jeunes.
Avez-vous justement ressenti une dégradation de la confiance dans la science concernant le VIH après la pandémie de Covid-19, durant laquelle beaucoup de théories complotistes ont circulé sur les virus ?
Oui, on l'a vraiment senti. On nous a régulièrement dit : «Les scientifiques ont trouvé un vaccin contre le Covid-19 en un an, alors qu'ils n'y sont pas arrivés pour le sida en 40 ans», de manière suspicieuse. On a bien senti que l'ère du complotisme nous atteignait aussi.
Aujourd'hui, près d'un tiers des jeunes pensent qu'il existe un vaccin contre le VIH. Soit ils pensent vraiment qu'il y en a un, donc il y a une mauvaise information, soit ils pensent qu'il en existe un mais qu'on nous le cache. On sent une véritable méfiance par rapport aux faits scientifiques.
Beaucoup de jeunes doutent aussi de l'efficacité des traitements contre le VIH, alors qu'il a été prouvé de nombreuses fois qu'une personne sous traitement ne transmet plus le virus.
Quels seraient alors les modes d'action pour pallier ces mauvaises connaissances ? Plus de prévention à l'école ?
Il faut avoir plus de témoignages de personnes vivant avec le VIH, il faut que les personnes puissent parler de leur expérience sans avoir peur. Il faut refaire plus de campagnes de prévention et d'information dans les écoles, les collèges, les lycées. Il faut aussi continuer à faire ce propose la ville de Paris pour le 1er décembre, c'est-à-dire des affichages et des campagnes publiques pour rappeler les faits sur le VIH.
Des États généraux des personnes séropositives vont justement être organisés en 2024 pour faire entendre leurs voix et partager leurs expériences. Que ressentent-elles face à ce manque d'informations de la population ?
Elles ressentent beaucoup de discrimination et la peur de parler de leur séropositivité. Elles peuvent faire face à des réactions maladroites, déstabilisantes, voire violentes. Cela les amène souvent à cacher leur séropositivité, car elles n'ont pas envie de vivre des situations discriminantes.
Ce qui nous met en colère, c'est que les personnes séropositives traitées vont bien physiquement, mais souffrent d'un impact psychologique très fort. Beaucoup de personnes ont peur de parler et de partager leurs expériences, par peur d'être jugées. On continue à associer le VIH à un jugement moral, ce qui est difficile à vivre.