Un mois jour pour jour après l'assassinat de Dominique Bernard, professeur de français à Arras (Pas-de-Calais), le gouvernement a apporté ses premières réponses aux enjeux soulevés par l'attentat.
Après le choc et l'émotion, le temps de l'action est venu pour le gouvernement, un mois après le meurtre de Dominique Bernard à Arras. L'assassinat de ce professeur de français par un jeune Russe fiché pour radicalisation islamiste a fait naître des enjeux politiques et sécuritaires, notamment dans le cadre de l'examen de la loi immigration au Sénat.
Mohammed Mogouchkov, 20 ans, a poignardé à mort Dominique Bernard le 13 octobre dernier, devant le lycée Gambetta d'Arras. Ce jeune Russe originaire d'Ingouchie était fiché depuis février 2021. Immédiatement après les faits, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, avait exprimé son souhait de durcir sont projet de loi immigration.
Il estimait alors avoir les mains liées par la législation actuelle, qui l'empêche d'expulser un étranger arrivé en France avant l'âge de 13 ans, sachant que Mohammed Mogouchkov avait 5 ans lorsqu'il est entré dans l'Hexagone.
Suivez l'examen de l'article 9 du projet de loi pour contrôler l'immigration, améliorer l'intégration, portant sur le régime d'expulsion et des peines d'interdiction du territoire français visant les étrangers constituant une menace pour l’ordre public. https://t.co/1QpuUm3ece
— Sénat Direct (@Senat_Direct) November 9, 2023
Vendredi 10 novembre, au dernier jour d'examen des articles du projet de loi immigration par le Sénat avant le vote mardi, le texte prévoyait donc de supprimer l'essentiel des protections contre l'expulsion dont bénéficient certains immigrés (à l'exception des mineurs), dont ceux arrivés en France avant 13 ans ou résidant sur le territoire depuis plus de vingt ans.
Ces dispositions, voulues par le gouvernement et durcies par la majorité sénatoriale de droite et du centre, visent les personnes qui ont fait l'objet d'une condamnation pour des crimes ou délits punis de cinq ans ou plus d'emprisonnement.
Comme le souhaitait Gérald Darmanin depuis l'attentat d'Arras, le retrait du titre de séjour d'une personne qui «adhère à une idéologie jihadiste radicale» est également permis par le texte, très marqué à droite. En revanche, l'enfermement en centre de rétention pour les mineurs de moins de 16 ans est interdit.
A noter que le projet de loi a toutes les chances d'être adopté en l'état au Sénat puisque Les Républicains et le groupe centriste, largement majoritaires, se sont accordés sur l'ensemble des dispositions. Les discussions seront toutefois plus âpres lors du passage à l'Assemblée nationale. Le gouvernement y cherchera un délicat «compromis», alors que l'aile gauche de la Macronie est déterminée à rééquilibrer le texte, avec le soutien des élus de gauche.
L'attentat d'Arras a également soulevé des questions concernant la sécurité dans les écoles françaises. Quelques jours après le meurtre de Dominique Bernard, le ministre de l'Education nationale, Gabriel Attal, avait ainsi annoncé «travailler à des mesures» visant à «sortir» les élèves radicalisés des établissements scolaires.
Quand les personnels de l'Education «signalent des élèves qui constituent selon eux, potentiellement une menace (...) en raison de propos qu'ils ont tenus ou d'actes qu'ils ont commis, le principe de protection que je veux appliquer à l'ensemble de nos élèves et de nos personnels fait qu'on doit trouver une autre solution que de les scolariser», avait-il déclaré.
Il disait «croire profondément au rôle de l'éducation pour faire reculer la radicalisation», mais estimait que «dans certaines situations, le niveau d'embrigadement dans la famille, et parfois d'associations qui gravitent autour, est tel qu'on ne se bat pas à armes égales». Le ministre voulait donc «penser à des structures spécialisées» pouvant accueillir ces élèves.
Des «boutons d'appel» dans les collèges et lycées ?
Un discours qui n'avait pas manqué de faire réagir les syndicats d'enseignants, appelant à être prudent à ce sujet. «Les "sortir", mais pour aller où ? Pendant combien de temps ? Est-ce que c'est dans une structure éducation, une structure justice ? Comment on fait quand ils reviennent ?», s'interrogeait notamment auprès de l'AFP Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU.
Elisabeth Allain-Moreno, secrétaire générale du SE Unsa soulignait le risque de mettre «encore plus à l'écart» ces jeunes et d'entraîner ainsi une «sur-radicalisation», quand son homologue du Sgen-CFDT, Catherine Nave-Bekhti, mettait en garde contre la «pente très problématique» consistant à potentiellement renoncer «au principe d'éducabilité de tous».
Aucune décision n'a été annoncée sur ce sujet depuis, mais Gabriel Attal a reçu les associations d'élus locaux le 6 novembre afin de «définir ensemble les mesures de sécurité» à mettre en place dans les écoles.
Dans ce cadre la Première ministre, Elisabeth Borne, s'était notamment dite favorable à la généralisation des «boutons d'appel» dans les collèges et lycées. Ces dispositifs permettent aux établissements d'être en lien direct avec la police ou la gendarmerie en cas de problème.
Un chantier d'ampleur
A l'issue de la rencontre, l'association Régions de France indiquait qu'aucune décision n'avait été prise à ce stade mais que le ministre de l'Education nationale donnait la priorité à cette question de la liaison directe des établissements scolaires avec les forces de l'ordre, ainsi qu'à celle de la formation de tous les personnels aux enjeux de sécurité.
Une enquête flash conduite par le ministère sur l'état d'équipement des établissements en matière de sécurité a par ailleurs révélé des manquements, et notamment le fait que 61,1% d'entre eux ne disposent pas d'alarme anti-intrusion. Aussi, du côté des départements, il a été décidé qu'un point sur la sécurisation des établissements sera systématiquement mis à l'ordre du jour des conseils d'école et d'administration des collèges et lycées.
Face à l'ampleur du chantier, les collectivités ont soulevé la question du coût. Gabriel Attal a «dit que l'Etat pourrait assurer 50% des financements en matière d'équipements, portiques, clôtures, caméras», selon Frédéric Leturque, le maire d'Arras qui représentait l'Association des maires de France le jour de l'échange.
Soulignant le fait que «toutes les collectivités n'ont pas les moyens de faire les 50% du chemin restant», ce dernier a appelé à s'ouvrir à «un état d'esprit, un diagnostic, des propositions de solution». D'après les associations d'élus, Gabriel Attal s'est engagé à les réunir «très régulièrement» pour poursuivre les discussions.