Alors que le 14 juillet marque la fin de la période des «cent jours» fixés par Emmanuel Macron pour relancer l’action du gouvernement, Elisabeth Borne a assuré avoir «délivré» sa feuille de route. Pourtant, après l’épisode tumultueux des retraites, la France s’est embrasée avec l’affaire Nahel. L’apaisement semble désormais bien loin.
Après plusieurs mois d’une crise sociale marquée par 14 journées de manifestations et de grèves contre la réforme des retraites et sa promulgation via l’article 49.3 de la Constitution, Emmanuel Macron avait décrété l’apaisement national en fixant une feuille de route de «cent jours» pour relancer son quinquennat, et redonner un second souffle à son action politique. Trois mois plus tard, le bilan est loin d’être convaincant.
«Nous avons devant nous cent jours d'apaisement, d'unité, d'ambition et d'action au service de la France», déclarait alors le président de la République. Un délai perçu comme un sursis pour Élisabeth Borne à Matignon. À l’approche de la date butoir, fixée au 14 juillet, et face à l'état dans lequel se trouve le pays, la Première ministre, à l'image de plusieurs membres du gouvernement, pourrait bien servir de fusible pour tenter de calmer la situation.
une semaine de chaos
Et pour cause, la mort de Nahel, tué par un policier lors d’un contrôle routier le 27 juin dernier à Nanterre, a été l’élément déclencheur d’une semaine d'émeutes née dans la banlieue parisienne, puis propagée sur tout le territoire. Un drame révélateur de la fracture sociale qui scinde la France en deux camps opposés sur le terrain des valeurs, mais aussi dans la rue, qui pourrait bien faire vaciller le fragile équilibre de la République.
Pendant cette période, la France a basculé dans le chaos, avec des milliers de voitures brûlées, des centaines de commerces pillés et détruits, de nombreux bâtiments publics dégradés, et des agents de l’État (policiers, gendarmes...) ou représentants de la Nation (maires, élus...) pris pour cibles. Une révolte que le gouvernement a tenté de contenir, tout comme les manifestations pacifiques au sortir de cette période, renforçant le sentiment d'injustice à l'origine du passage à l'acte des émeutiers.
Par ailleurs, déjà fragilisée par la très forte inflation qui touche le pays, et par la crise sociale provoquée par les passages en force à répétition pour des textes de loi aussi impopulaires que la réforme des retraites, sans oublier le douloureux souvenir, pour de nombreux Français, de l’épisode des gilets jaunes, la France se trouve dans un état de sensibilité accrue, prête à imploser à chaque sujet qui la divise. Un climat bien loin de l’apaisement décrété par le président.
Les oppositions déplorent un échec complet
Du côté des oppositions, le constat d’échec est sans appel, notamment de l’avis de la Nupes, qui a été la plus virulente. «100 jours d'inaction écologique, 100 jours supplémentaires contre la démocratie, 100 jours de répression et de violences institutionnelles, notamment le 1er mai» et lors de «la marche pour Adama» Traoré samedi, a déploré devant la presse la patronne des députés LFI, Mathilde Panot.
«Est-ce qu'on a réparé la démocratie, réarmé l'hôpital et les services publics?», s’est interrogé Sébastien Jumel, porte-parole des députés communistes. C'est plutôt «100 jours d'accélération macroniste» dans un sens libéral, a renchéri son collègue PCF, Pierre Dharréville. Pour Bertrand Pancher, chef de file des députés indépendants Liot, c'est également «le constat d'un échec» dans l'apaisement : «Le pays continue à se fracturer».
A droite, le président des députés LR, Olivier Marleix, a considéré que «ce sont des choses qui nous ont coûté cher une fois de plus». «Je crains que la facture se chiffre autour d'une dizaine de milliards, le président de la République n'a pas compris que tout ne s'achetait pas», a-t-il lancé.
Le remaniement comme dernier recours ?
Dès lors, le bilan ne peut être que contrasté. Car si la Première ministre avance sa réussite sur le calendrier des réformes engagées, respectant à la lettre la feuille de route fixée par le président, avec les plans de lutte contre les fraudes fiscales et sociales, le «nouveau pacte de la vie au travail», l'amorce d'une réforme de l'école, et le lancement d'un plan pour l'hôpital, ces chantiers pourrait s'avérer insuffisants pour calmer la grogne sociale qui ne cesse de monter en France, et qui pourrait encore se matérialiser dans les prochains jours, notamment ce vendredi 14 juillet.
«Nous avons délivré. Tous les chantiers que nous avions présentés fin avril dans la feuille de route ont été engagés sur les quatre axes, travail, ordre républicain, santé et éducation», s'est défendue la cheffe du gouvernement dans un entretien au Parisien. Une position partagée par l'entourage d'Emmanuel Macron, qui estime que «la promesse des cent jours d'action a été en très grande partie tenue», avec un président de retour au contact des Français pour lancer des chantiers importants, comme la réforme du bac professionnel et les mesures pour revitaliser l'industrie hexagonale tout en la verdissant.
De fait, le président de la République se trouve donc dans une position délicate : se ranger du côté de l'opinion publique et des oppositions, quitte à désavouer sa Première ministre, ou bien soutenir l'action de son gouvernement en faisant fi d'une situation de crise qu'il ne parvient pas à dépasser, malgré sa volonté de tourner définitivement la page après l'épisode épineux des retraites.
Même s'il choisit de soutenir son gouvernement, Emmanuel Macron ne semble plus disposer de beaucoup de solutions, et pourrait se tourner vers un remaniement, dont les rumeurs se font de plus en plus pressantes, pour s'acheter un peu de paix sociale. Certains ministres comme Elisabeth Borne à Matignon, Pap Ndiaye à l'Éducation nationale, ou Marlène Schiappa à l'Économie sociale et solidaire sont ainsi plus que jamais sur la sellette. D'autres noms pourraient suivre par la suite.
Emmanuel Macron va prendre la parole
Selon les informations de l'Élysée, Emmanuel Macron devrait donc s'exprimer devant les Français «avant la fin du mois de juillet», soit avant la pause estivale. Si le format n'est pas encore fixé, la possibilité d'allocution solennelle a rapidement été écartée, probablement au profit d'une interview présidentielle, ou d'un simple discours. Toujours selon l'Élysée, cette intervention n'aura pas lieu ce vendredi 14 juillet, pour la date butoir des «cent jours».
À travers cette allocution, le président devrait «mettre en lumière tout ce que nous avons fait pendant ces cent jours et tout ce que nous allons faire pendant les centaines de jours du quinquennat à venir», et notamment «les quatre axes de la planification écologique, le plein emploi, l'ordre républicain, le progrès pour les Français dans le domaine de l'école et la santé», a pour sa part annoncé le porte-parole du gouvernement, Olivier Veran. Il pourrait également en profiter pour annoncer un éventuel remaniement.
Emmanuel Macron, qui est actuellement à Vilnius au sommet de l'Otan, sera lundi et mardi prochain à Bruxelles pour un autre sommet entre l'UE et la Communauté d'États latino-américains et caraïbes (Celac). Puis il devrait se rendre en Océanie pour un long déplacement à partir du samedi 22 juillet.