Alors que les entreprises peinent à recruter des saisonniers, la réforme de l’assurance chômage a entériné la pénurie. L’augmentation de la durée de travail nécessaire pour toucher des indemnisations, ainsi que la prise en compte des périodes non-travaillées ne correspondent plus avec ce statut caractérisé par un travail discontinu.
Depuis le 1er octobre 2021 et l’adoption de la réforme de l’assurance chômage, la durée et le montant de l’indemnisation ont été modifiés et s’appliquent à la fois en fonction de la conjoncture économique, et selon de nouvelles règles. Parmi elles, en plus du passage de 88 jours travaillés (4 mois) à 130 jours (6 mois) sur les 24 précédents mois pour toucher l’allocation de retour à l’emploi (ARE), les périodes de non-activité sont également prises en compte dans le calcul du montant de l’indemnisation. Un immense problème pour les saisonniers, qui doivent désormais enchaîner les contrats et qui voient leurs indemnités se réduire.
Un contrat avec des caractéristiques spécifiques
Le CDD saisonnier est un contrat de travail qui se distingue d’un CDD classique. Il ne peut être utilisé que dans certains secteurs (exploitations agricoles et industries agroalimentaires, entreprises exerçant dans le domaine du tourisme, parcs de loisirs, casinos, remontées mécaniques, domaines skiables...). Les employeurs peuvent y avoir recours exclusivement pour des tâches se répétant d’une année sur l’autre, et à des dates à peu près fixes.
De plus, un CDD saisonnier ne peut durer plus de 8 mois, et, contrairement à un CDD «classique», il ne permet pas : la mise en place d’une rupture conventionnelle, le versement d’une prime de précarité, ni la requalification en CDI. Généralement un contrat saisonnier s’exerce sur la période estivale, ou sur la période hivernale, pour des saisons qui durent environ 4 mois. Il peut aussi s’exercer sur d’autres périodes pour des missions agricoles, par exemple, mais souvent pour une durée équivalente.
Et pourtant, malgré un rythme et des conditions de travail particulières, l’activité saisonnière répond aux mêmes exigences que toute autre activité en matière d’assurance chômage. La réforme d’assurance chômage entrée en vigueur au 1er octobre 2021 pénalise donc particulièrement les travailleurs alternant période d’emploi et d’inactivité, ce qui est l’essence même de l’activité saisonnière.
Les périodes non-travaillées prises en compte dans le calcul de l'ARE
Depuis octobre 2021, la réforme de l’assurance chômage sanctionne en effet les activités professionnelles discontinues, puisque chaque période non-travaillée est désormais prise en compte dans le calcul des allocations. Jusque-là, les indemnités ont toujours été définies uniquement à partir d’une moyenne des salaires touchés les jours travaillés. Mathématiquement, le nouveau mode de calcul fait donc baisser le montant de l’indemnisation chômage.
Plus concrètement, cette nouvelle réforme consiste en deux mesures principales qui affectent tout particulièrement les saisonniers : le conditionnement de l'ARE à six mois de travail minimum sur les deux dernières années, contre quatre auparavant. Et un salaire journalier de référence qui n’est plus calculé, comme avant la réforme, sur les jours travaillés lors des douze derniers mois, mais sur un revenu mensuel moyen prenant également en compte les périodes d’inactivité.
C’est l’esprit même de cette réforme : l’ARE est désormais étalée sur une période plus longue et le montant touché mensuellement est donc moindre. L’objectif est de contraindre les travailleurs qui alternent entre des périodes de contrats courts et des périodes de chômage à reprendre le travail au plus vite, en ne leur permettant plus de vivre de leur allocation. Il est aussi de faire des économies, car en allongeant la durée d’indemnisation, davantage de chômeurs retrouvent un travail avant d’épuiser leurs droits, ce qui fait moins d’argent à sortir des caisses.
Selon les chiffres de l’Unédic, la réforme aurait pénalisé 1,15 million de personnes lors de la première année d’application et les allocations ont baissé en moyenne de 17%. Pire encore : 400.000 personnes auraient subi une baisse de 40% du montant de leur indemnisation. Les plus touchés d’entre eux : les saisonniers, avec un million de personnes, selon les chiffres du ministère du travail.
Même en alternant six mois de travail complet et six mois de chômage pendant toute une vie, la décote due à la réforme finirait par pénaliser les saisonniers au bout de huit ans de travail, en raison du mois de carence. Il s’agit d’un mois non-indemnisé entre un contrat de travail et la réception de l’allocation, qui finit par faire coïncider le moment où les nouveaux droits sont calculés avec une période de chômage. Cela rend de manière inévitable un calcul défavorable.
Les entreprises également pénalisées
Déjà fragilisés par la crise sanitaire, l’inflation et l’explosion des prix de l’énergie, les recruteurs sont également les victimes collatérales de la réforme. Restauration, animation, vente, emplois agricoles... Dans tous ces secteurs, l’offre est largement supérieure à la demande. Pour la saison estivale 2023, de nombreuses offres sont encore à pourvoir sur les sites spécialisés, et risquent de ne jamais trouver preneur. Près de 150 sur le site HelloWork dans le seul département du Finistère, par exemple, et près de 2.000 dans l’Hexagone.
Dans l’hôtellerie-restauration, plus de 50% des emplois sont saisonniers, estime Pôle emploi. En 2022, 200.000 offres n’avaient pas été pourvues dans le secteur. Et la tendance s’est confirmée l’hiver dernier. En montagne, de nombreuses stations de ski ont été contraintes de tourner avec les moyens du bord.
«Dans les stations de ski, c’est de plus en plus difficile de recruter des saisonniers», témoigne Mathieu Moellinger, directeur adjoint de l’office de tourisme et de la vallée de Kaysersberg dans les Vosges, pour le Télégramme. «La station du Lac blanc avait déjà du mal à ouvrir ses pistes quatre mois, mais avec les six mois de cotisation et le changement climatique, c’est impossible», ajoute-t-il. Résultat : les saisonniers recrutés ont plusieurs casquettes : perchiste, vendeur de forfaits, et toutes les remontées ne peuvent pas toujours être ouvertes en même temps.
Droit au chômage en fonction de la conjoncture économique
Enfin, le nouveau calcul de l’indemnisation chômage prend désormais en compte la conjoncture économique du pays. Par exemple, si le taux de chômage descend sous la barre des 9%, comme c’est le cas actuellement, ou encore, s’il baisse pendant trois trimestres consécutifs, la France entre alors en «période verte».
Dans ce cas, la durée des droits baisse de 25% pour les personnes concernées. Par conséquent, si une personne avait droit à 24 mois d’indemnisation avant cette réforme, cette durée sera ainsi réduite à 18 mois. Un paramètre qui nuit également aux saisonniers, pas épargnés par cette baisse de durée de d’indemnisation en cas de bonne situation économique du pays.