Onze cadres du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en France vont être jugés, à partir de ce mardi 4 avril, pour «racket», «propagande» et «financement du terrorisme». Le procès doit durer dix jours.
Un feuilleton judiciaire complexe. Ce mardi 4 avril, la justice va se pencher sur le fonctionnement du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) en France, à travers le procès de onze de ses cadres. Tous de nationalité turque, ces hommes sont accusés de «racket» de la diaspora kurde, de «propagande» pour recruter des jeunes et surtout de financement de terrorisme.
Le PKK est une organisation basée en Turquie qui lutte pour un Kurdistan indépendant, dont l’ennemi juré est Ankara, qui le considère comme un groupe «terroriste», à l’instar des États-Unis et de l’Union européenne. Pourtant, aucun des accusés ne reconnaît ouvertement être membre de l’organisation. Selon leur défense, ils considèrent même qu’elle n’existe «que dans les montagnes du Kurdistan», loin de la France où ils résident.
Un avis non partagé par les enquêteurs, qui sont persuadés de l’appartenance des suspects au PKK et qui estiment que la France, l’Allemagne ou encore les Pays-Bas sont des «bases arrières» où des «cellules clandestines» très hiérarchisées s’emploient à «mobiliser» la communauté kurde (120 à 150.000 personnes en France, 100.000 aux Pays-Bas et un million en Allemagne).
une organisation millimétrée
Selon les premiers éléments de l’enquête qui a commencé en 2020 avec deux signalements pour «disparitions inquiétantes» dans le sud-est de la France, et à quelques mois d’écart, de deux femmes kurdes âgées de 18 et 19 ans, la piste d’un recrutement du PKK pour rejoindre des camps de formation en Europe s’est rapidement dessinée. Les enquêteurs ont ainsi identifié un réseau actif dans la région, dont la base, qui est officiellement «une association kurde» de Marseille (Bouches-du-Rhône), est notamment chargée de collecter l’impôt appelé la «kampanya» qui servirait au financement du PKK.
Plusieurs témoignages et écoutes téléphoniques ont révélé un «véritable harcèlement» des membres de la diaspora, ainsi que des méthodes de recouvrement s’apparentant à du racket. La contribution, collectée une fois par an, est fixée arbitrairement par les «collecteurs» en fonction des revenus estimés de chacun.
Une adhésion par la peur
Si certains Kurdes paient l'impôt par conviction idéologique et «adhésion totale» au PKK, note l'enquête, «beaucoup» le vivent comme une obligation et n'osent s'y soustraire par peur de la réprobation de la communauté mais aussi de représailles en cas de non-paiement. Pour la «zone sud-est» de la France, le montant annuel collecté a été estimé à deux millions d'euros.
Les enquêteurs se sont aussi intéressés aux techniques de «recrutement» de jeunes Kurdes, parfois «brutalement extraits de leur famille», dans des conditions «proches de l'enlèvement et de la séquestration». Ces recruteurs quadrillent le territoire français pour tenter de convaincre de jeunes Kurdes de rejoindre d'abord un camp de «formation idéologique» en Europe. Ceux qui persévèrent sont ensuite envoyés dans des camps d'entraînement, militaires cette fois, souvent en Irak, avant d'être intégrés aux «forces combattantes révolutionnaires kurdes».
Peuple sans Etat (25 à 35 millions de personnes éparpillées entre Irak, Iran, Syrie et Turquie), les Kurdes ont été endeuillés en France fin décembre par l'assassinat de trois des leurs près d'un centre culturel à Paris. Ce crime, «raciste» selon les premiers éléments d'enquête, a ravivé le souvenir du triple assassinat de militantes du PKK dix ans plus tôt, qui reste entouré de mystère.
Après la fusillade de décembre, les représentants de la gauche française avaient appelé dans une tribune à «accorder aux Kurdes la protection qu'ils méritent» et à «sortir le PKK de la liste des organisations terroristes», en dénonçant leur «persécution» par le régime turc.
La défense des prévenus compte d'ailleurs contester la qualification «terroriste» des faits reprochés à leurs clients. «Tout le débat est de savoir si le PKK est une organisation terroriste et on va se battre là-dessus», confirme Maître Martin Méchin, avocat des prévenus.