Dans différentes villes de France, à l'appel de l'Association nationale de la police judiciaire, des policiers, des avocats et des magistrats se sont rassemblés jeudi midi devant les Palais de Justice pour dénoncer le passage en force de Gérald Darmanin sur son projet de réforme de la police. Il prévoit sa mise en application d'ici à la fin 2023 et les mesures validées inquiètent au plus haut point les contestataires.
«Sidération, écœurement, souffrance». Les policiers réunis à la mi-journée sur les marches des différents tribunaux judiciaires de France ont aujourd'hui des hauts le cœur à l'évocation de la réforme de la police engagée par Gérald Darmanin pour une application d'ici à la fin 2023.
Ils ont été rejoints, comme depuis le début de la contestation de ce projet à l'initiative de l'Association nationale de la police judiciaire, par des avocats et des magistrats. Ils dénoncent un «passage en force» et le «mépris» de leurs dirigeants, ministre ou directeur général de la police nationale, pour les effectifs, la base, les policiers de terrain.
Après le courrier du ministre de l'Intérieur envoyé à ses troupes début mars, leur constat est amer : «Il détruit la PJ, le seul rempart efficace de notre pays contre le crime organisé», déclament tous les représentants de l'ANPJ dans leurs discours ce midi lors des rassemblements. A Versailles, plusieurs enquêteurs de la Police judiciaire sont venus protester contre le projet du gouvernement.
Interrogé sur l'avenir de son poste, l'un d'entre eux nous lance : «Mon avenir personnel n'est pas le plus important. Ce qui m'inquiète, c'est que ce sont les Français qui sont mis en danger. Dans cinq à dix ans, on réalisera qu'il y a un contrat de trafiquants de drogue sur la tête du garde des Sceaux ou un journaliste tué sur l'autel de la drogue, comme aux Pays-Bas aujourd'hui.»
Car la PJ a pour spécificité de lutter aux longs cours contre la grande criminalité organisée, sur les affaires les plus complexes et les plus sensibles. La réforme prévoit de mettre ces services sous la coupe de directeurs départementaux de la police nationale (DDPN), eux-mêmes soumis à l'autorité du préfet.
L'annonce, début mars, par le ministre de l'Intérieur de mettre en place des directeurs interdépartementaux quand cela sera nécessaire ne rassure pas les troupes, qui dénoncent «des mesures cosmétiques».
«Au final», nous a confié un enquêteur qui oeuvre contre la grande délinquance économique et financière depuis quinze ans, «tous les policiers d'investigation seront mis en commun et nous n'aurons plus la possibilité de nous consacrer aux enquêtes longues sur le haut du spectre. Et ce ne sont pas les plus de 5.000 membres de la PJ qui permettront d'écluser les 1,5 à 2 millions de procédures en souffrance actuellement en sécurité publique, concernant des faits de petite et moyenne délinquance.»
«On supprime une police judiciaire qui fonctionne»
Les opposants à la réforme y voient aussi la réduction à peau de chagrin des enquêtes sur les atteintes à la probité, les dossiers politico-financiers : «C'est la fin de ces investigations, c'est l'intérêt du politique», entend-on dans les rangs des manifestants à Versailles. Un avis partagé par les syndicats de magistrats de tous bords, venus soutenir la contestation : «On supprime une police judiciaire qui fonctionne, au taux d'élucidation très élevé, pour un objectif statistique en trompe-l'œil où le point de deal compte autant qu'un important dossier de trafic de stupéfiants ou une affaire de marché public à plusieurs millions d'euros», explique Anne Duval, représentante de l'Union syndicale des magistrats.
Juges et procureurs s'inquiètent également du poids que prendra le préfet : «Le secret de l'instruction ne sera plus préservé, et il y a un risque de remontées d'informations au préfet et in fine au ministre de l'Intérieur», alertent les magistrats.
Face à la contestation, les autorités assurent que la concertation se poursuit sur le sort des enquêtes sur les atteintes à la probité et contre la criminalité organisée. Ces dernières pourraient relever in fine de services interdépartementaux de police judiciaire.
Et le ministre a assuré aux enquêteurs de PJ que tous pourront continuer d'exercer les missions qui sont les leurs. Sans convaincre les intéressés, manifestement.