Un baromètre publié ce mardi 14 février par Santé publique France montre une nette augmentation de la prévalence annuelle des épisodes dépressifs en 2021 en France, durant la pandémie.
La santé des Français a été mise à rude épreuve par la crise sanitaire. Il y a eu le Covid-19, bien sûr, mais aussi l'inquiétude générale, l'isolement, l'incertitude. Leur impact sur la santé mentale, déjà ressenti, est confirmé par le Baromètre santé 2021 de Santé publique France, publié ce mardi 14 février. Il montre une augmentation de 36% de la prévalence annuelle des épisodes dépressifs chez les 18-75 ans par rapport à 2017.
La tendance est à la hausse pour «tous les segments de la population», mais elle est notamment portée par une forte progression chez les 18-24 ans. Un jeune adulte sur cinq aurait en effet vécu un épisode dépressif au cours des 12 derniers mois en 2021, soit une augmentation de près de 80% par rapport au niveau observé en 2017.
L'épisode dépressif caractérisé (EDC) est défini par l'existence d'une période de 15 jours de tristesse ou de perte d'intérêt presque tous les jours et pratiquement toute la journée, mais aussi par la présence, sur la même période, d'une perturbation des activités et d'au moins trois symptômes secondaires (épuisement, variation du poids, insomnies, difficultés de concentration...).
Le fait que les jeunes soient particulièrement touchés s'explique sans doute par de multiples facteurs qui ne sont pas tous mesurables. Les données montrent toutefois des liens entre la survenue d'un épisode dépressif et des situations de vie rendues plus précaires dans le contexte de la crise sanitaire.
«Il y a eu l'isolement social en raison des confinements, ils ont vécu beaucoup d'incertitude par rapport aux universités fermées, aux cours à distance. Globalement c'était beaucoup d'angoisse et d'anxiété. Peut-être que cette augmentation importante pourrait aussi être liée à une capacité plus forte de cette nouvelle génération à exprimer ses sentiments», développe Christophe Léon, auteur de l'article et chargé d'expertise au sein de l'unité santé mentale à Santé publique France.
D'après les données, le deuxième confinement a été bien plus difficile à vivre que le premier pour les 18-24 ans, remarque par ailleurs Enguerrand Rolland du Roscoät, responsable de l'unité santé mentale à Santé publique France. «Sans doute parce que beaucoup de jeunes n'ont pas eu le temps ou la possibilité de revenir dans leur famille, suppose-t-il. Leur situation financière s'est dégradée parce qu'ils n'avaient plus accès à leur jobs étudiants et il y a un sentiment de culpabilité qui transparait aussi, avec la peur de transmettre le virus. Les jeunes ont parfois été pointés du doigt parce qu'ils cherchaient les contacts sociaux».
Les personnes précaires sont plus à risque
Si les résultats du baromètre suggèrent que l'augmentation de la prévalence des épisodes dépressifs dans l'année a globalement concerné tous les segments de la population, l'analyse des facteurs associés montre toutefois que les personnes en situation de précarité restent les plus à risque. Selon la situation professionnelle, les chômeurs sont par exemple les plus concernés par un EDC en 2021, à 22%.
Le pourcentage de personnes touchées parmi ceux qui se disent «juste» financièrement a en outre plus que doublé depuis 2005, de 7,8% à 17,3%. Ceux qui déclarent de véritables difficultés financières sont les plus exposés, à 24,4%, soit 4,7 points de plus qu'en 2017. En comparaison, 10,2% des personnes «à l'aise» financièrement ont vécu un épisode dépressif l'année dernière (+3,7 points par rapport à 2017).
Des associations avec la structure familiale et le lieu de vie sont également mises en avant. Les personnes vivant seules et les familles monoparentales sont par exemple plus à risque d'avoir vécu un épisode dépressif dans l'année que celles vivant en couple, avec ou sans enfant.
De la même manière, la prévalence des EDC a davantage augmenté dans les zones urbaines, sans doute parce que les habitants des grandes villes ne disposent pas toujours d'un «espace extérieur», véritable atout lors des confinements, et vivent «dans des logements plus petits», analyse Christophe Léon. Les Franciliens présentent ainsi le taux d'épisodes dépressifs caractérisés dans l'année le plus élevé (14,4%).
Ces résultats français concordent avec ceux observés au niveau mondial. Une synthèse de données quantitatives publiée dans la revue The Lancet en octobre 2021 pointait déjà une augmentation de 27,6% des cas de trouble dépressif dans le monde en 2020. Un impact accru sur les jeunes y était également souligné, notamment dans les pays les plus durement touchés par la crise en termes de diminution de la mobilité humaine ou du taux quotidien d’infection et de surmortalité.
Résultat : en France, les dépenses liées aux maladies psychiatriques et à la consommation de psychotropes (hospitalisation, remboursements, etc.) représentent près de 14% des coûts totaux. Soit le premier poste de dépenses par pathologie, devant les maladies cardiovasculaires et les cancers.
Les troubles de santé mentale sont en outre associés à de nombreuses comorbidités somatiques, notamment parce qu'ils conduisent souvent à une dégradation des habitudes de vie. On observe par exemple une augmentation du tabagisme, de l'alcoolisme et des pratiques sexuelles à risque, avec en parallèle une diminution de l'activité physique. A elle seule, la dépression représente la troisième cause d'années de vie vécues avec une incapacité dans le monde.
L'importance d'une prise en charge précoce
Voilà pourquoi les conclusions de ces différentes études doivent, selon Enguerrand Rolland du Roscoät, se traduire par des mesures concrètes de santé publique. Certaines ont déjà été prises en 2018, au travers de la Feuille de route santé mentale et psychiatrie, ainsi qu'en 2021, lors des Assises de la santé mentale et de la psychiatrie. Une stratégie de prévention du suicide existe également en France, avec différents dispositifs.
«Aujourd'hui il faut se demander comment on peut renforcer les facteurs de protection en amont, comment on travaille pour être bien à l'école, comment soutenir la parentalité, comment sécuriser les différents milieux de vie. Il y aura toujours des gens qui auront plus de difficultés, en raison de fragilité individuelle ou d'événements de vie, alors il faut se concentrer sur le repérage et la prise en charge précoce», plaide le responsable de l'unité santé mentale à Santé publique France.
Il pointe un enjeu éducatif crucial, afin que les troubles de la santé mentale ne soient plus un «tabou». «Il faut qu'on puisse en parler plus facilement, pour que chacun comprenne que la santé mentale c'est comme la santé physique : on en prend soin, ça s'entretient». Cela passe aussi par la déstigmatisation des personnes atteintes, en travaillant sur leur réinsertion sociale.
Des outils sont déjà mis à disposition des personnes en souffrance et de leurs proche, telles que le Psycom, un site d'informations sur la santé mentale, et le 3114, numéro national de prévention du suicide. Autant de ressources qu'Enguerrand Rolland du Roscoät veut faire connaître pour rappeler qu'en matière de santé mentale il n'y a pas de fatalité : «on peut s'en sortir».