Le procès d’Eric Dupond-Moretti s’ouvre, ce lundi 6 novembre, devant la Cour de justice de la République (CJR). Une première pour un ministre en exercice devant cette juridiction d’exception, créée spécialement afin de juger les membres du gouvernement pour les crimes et délits commis dans l’exercice de leurs fonctions.
une juridiction à part
La Cour de justice de la République (CJR) juge les membres du gouvernement (Premier ministre, ministres, secrétaires d’État) pénalement responsables de crimes ou délits accomplis dans l’exercice de leurs fonctions. La CJR a été créée lors de la révision constitutionnelle de 1993, au moment du scandale du sang contaminé dans lequel étaient impliqués plusieurs ministres, dont l'ancien Premier ministre Laurent Fabius.
Cette Cour est composée de trois juges professionnels issus de la Cour de cassation, la plus haute juridiction judiciaire de France, et de douze juges parlementaires (six députés et six sénateurs).
Avant 1993, seul le Parlement avait le pouvoir d’engager des poursuites à l’encontre des membres du gouvernement devant ce qui s’appelait alors la Haute Cour de justice, composée uniquement de parlementaires élus par chaque assemblée.
Une procédure codifiée
La procédure de jugement de la CJR comprend plusieurs étapes, détaille le site officiel vie-publique.fr. En premier lieu, n'importe quel citoyen qui s'estime victime d'un crime ou d'un délit imputé à un membre du gouvernement dans l’exercice de ses fonctions peut déposer une plainte.
Celle-ci est ensuite étudiée par la commission des requêtes qui soit décide de la transmettre au procureur général près la Cour de cassation afin qu'il saisisse la Cour de justice de la République, soit prononce le classement de la procédure.
Si la plainte est jugée recevable, une commission d'instruction réalise l'audition des personnes incriminées et décide de leur renvoi devant la CJR. Enfin a lieu le jugement, avec en cas de culpabilité, l'annonce de la peine infligée.
des magistrats et des parlementaires pour juger
La commission des requêtes, qui décide de l’engagement des poursuites, est composée de sept magistrats issus de la Cour de cassation, du Conseil d’État et de la Cour des comptes. La commission d’instruction est, elle, composée de trois magistrats de la Cour de cassation.
Enfin, le jugement est prononcé par six députés, six sénateurs et trois magistrats du siège à la Cour de cassation. Les parlementaires membres de la CJR sont renouvelés après les élections législatives ou sénatoriales.
huit ministres et secrétaires d'état jugés depuis 1993
Depuis la création de la CJR, huit ministres et secrétaires d'Etat ont été jugés. En 1999, dans l’affaire du sang contaminé, la juridiction a par exemple relaxé Laurent Fabius, Premier ministre à l’époque des faits, et a reconnu coupable Edmond Hervé, secrétaire d’État à la Santé, tout en le dispensant de peine.
Plusieurs personnalités politiques de premier plan ont déjà été reconnues coupables par la CJR : l'ancien ministre de l'Intérieur Charles Pasqua en 2010 (affaire de la Sofremi), l'ancienne ministre des Finances Christine Lagarde en 2016 (affaire Tapie-Crédit lyonnais) ou encore l'ancien Garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas en 2018 (affaire Solère-Urvoas).
D'autres responsables politiques font actuellement l'objet d'une instruction. C'est le cas du ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti, soupçonné d'avoir profité de sa fonction au gouvernement pour régler des comptes avec des magistrats.
une juridiction contestée
Depuis sa création, la CJR est la cible de nombreuses critiques. Certains pointent du doigt la formation de jugement, majoritairement composée de parlementaires, et estiment que l'institution permet aux politiques de se juger entre eux. Un défaut qui entraînerait des condamnations faibles ou bien des dispenses de peine.
Promesse de François Hollande, la suppression de la CJR avait été intégrée par Emmanuel Macron dans un projet de révision constitutionnelle mais celui-ci a été abandonné après le mouvement des gilets jaunes et la crise sanitaire.
Dans un rapport remis le 8 juillet, le comité des Etats généraux de la justice a préconisé la suppression de la CJR, estimant que les ministres devaient être «responsables pénalement devant les juridictions de droit commun pour les crimes et délits accomplis dans l’exercice de leurs fonctions, au même titre que les autres responsables publics».