Vingt-cinq ans après les faits, l'ancien Premier ministre Edouard Balladur, 91 ans aujourd'hui, et son ex-ministre de la Défense François Léotard, 78 ans, doivent comparaître, à partir de ce mardi 19 janvier, devant la Cour de justice de la République pour leur rôle supposé dans le financement occulte de la campagne présidentielle de 1995. Il s'agit de l'un des volets de la tentaculaire affaire Karachi.
Les deux anciens commis de l'Etat doivent être jugés pour «complicité d'abus de biens sociaux», l'ancien Premier ministre devant être jugé, en sus, pour «recel» de ce délit.
A la veille de l'audience, la présence d'Edouard Balladur au premier jour de procès ne faisait guère de doute, ce dernier ayant assuré, par le biais de son avocat, être désireux de faire entendre sa voix.
Mais le procès restait toutefois sous la menace d'une suspension dès son ouverture dans la mesure où François Léotard a indiqué être malade et qu'il ne pourrait pas se rendre au tribunal, selon une source judiciaire.
La campagne de 1995 comme pierre angulaire
Reste que, ce mardi ou plus tard, lorsque le procès aura réellement lieu, la Cour aura à coeur de se plonger, à raison de trois après-midis par semaine, dans la mémorable campagne présidentielle de 1995.
A l'époque, après les deux septennats du président socialiste François Mitterrand, la droite est prête à tout pour revenir au pouvoir. Cela explique pourquoi, en coulisses, se joue une véritable guerre entre Jacques Chirac et celui qui a finalement décidé de se présenter contre lui, Edouard Balladur.
De cette période, Balladur verra ses rêves élyséens envolés malgré une honorable troisième place au premier tour avec 18,58 %. Restent des accusations persistantes selon lesquelles il aurait été à la manoeuvre d'un vaste système de rétrocommissions illégales portant sur d’importants contrats d’armement avec l’Arabie saoudite et le Pakistan destinées à renflouer ses comptes de campagne.
Dans le détail, l’enquête s’est plus particulièrement intéressée au versement de 10,2 millions de francs (environ 1,5 million d’euros) payés en une seule fois et en liquide, juste après sa défaite au premier tour.
Aucun financement occulte, assure Balladur
Le Premier ministre, qui va plaider la relaxe, estime notamment que les faits sont prescrits, mais il a toutefois toujours balayé la thèse d’un financement occulte, soutenant que cette somme provenait de la collecte de dons et de ventes de gadgets ou tee-shirts lors de meetings.
Dans cette affaire aux multiples ramifications, six autres protagonistes, dont l’intermédiaire Ziad Takieddine, avaient été condamnés il y a sept mois à des peines de deux à cinq ans de prison dans le volet dit «non-ministériel».
Or, dans le volet ministériel, l’enquête avait révélé une correspondance entre le dépôt des espèces et les voyages de Ziad Takieddine à Genève.
En 1995, les comptes de campagne d'Edouard Balladur avaient été validés de justesse par le Conseil constitutionnel.
La suite s'est inscrite dans l'attentat de Karachi, au Pakistan, le 8 mai 2002. A la suite du drame, les familles des victimes, parmi lesquelles se trouvaient 11 employés français de la Direction des constructions navales qui avaient perdu la vie, avaient porté plainte pour tenter de faire toute la lumière.
Si l'enquête avait au départ privilégie la piste d'al-Qaïda, elle s'en était progressivement éloignée pour explorer les supposés liens – jamais confirmés à ce jour – entre cette attaque et l’arrêt du versement des commissions après la victoire de Jacques Chirac à la présidentielle de 1995. Une enquête antiterroriste qui est d'ailleurs toujours en cours.