Emmanuel Macron a défrayé la chronique en déclarant, dans un entretien au Parisien, publié mardi 4 janvier au soir, vouloir «emmerder jusqu'au bout» les Français non-vaccinés. Mais si ses propos ont aussitôt déclenché un véritable tourbillon de réactions, ils seraient loin d'être un dérapage incontrôlé.
Sollicité par CNEWS, Philippe Moreau-Chevrolet, spécialiste de communication politique, professeur associé à Sciences Po, et président de MCBG Conseil, a décrypté cette phrase choc du chef de l'Etat, qui, selon lui, s'inscrit ainsi dans une stratégie politique assumée.
Une sortie calculée, donc, mais faite toutefois à un prix relativement élevé. Elle a notamment mené cette semaine à une nouvelle suspension de l’examen du texte sur le pass vaccinal à l’Assemblée nationale.
Toutefois, si les fustigations se sont multipliées dans la classe politique, l'opinion publique, elle, a été plus partagée. Selon un sondage exclusif CSA pour CNEWS, paru ce mercredi, 53% des Français ont ainsi estimé que le chef de l’Etat avait eu, avec cette phrase, tort de la prononcer.
Emmanuel Macron s’est-il tiré une balle dans le pied avec cette sortie ?
Philippe Moreau Chevrolet : Non. Il a réalisé un coup de force médiatique. Il a utilisé une technique populiste qui consiste à occuper l’espace le plus possible avec la provocation la plus forte possible. Son but était de diviser la population en prenant le parti de la majorité contre une minorité.
A-t-on déjà vu ça ?
Cette technique populiste a deux exemples. Le premier, celui de Donald Trump, théorisé par son conseiller Steve Bannon. Cette théorie consiste à «flood the zone with shit» comme il l’a appelée. C’est-à-dire, couvrir la zone, l’espace médiatique en l’occurrence, de merde, ou de la plus grosse provocation possible. Cela a pour conséquence de monopoliser le débat, faire disparaître ses concurrents et se placer comme l’objet central pendant au moins vingt-quatre à quarante-huit heures.
Quelle est le deuxième exemple de cette technique que vous qualifiez de populiste ?
C’est une technique utilisée par les régimes autoritaires ou les leaders populistes. C’est le fait de désigner une minorité de la population, en l'occurrence les non-vaccinés, en affirmant que ce qui arrive de mauvais était de leur faute.
Emmanuel Macron a-t-il, selon vous, choqué son électorat ?
Comme le montrent les enquêtes d’opinion, les principaux opposants à cette déclaration sont les jeunes, les électeurs de gauche et ceux du Rassemblement national. A l’opposé, les électeurs plutôt âgés, conservateurs et de droite, qui représentent le cœur de l’électorat en France, sont plutôt favorables à la position du chef de l’Etat.
En réalité, Emmanuel Macron a dû analyser cette hostilité croissante de la population à l’encontre des non-vaccinés et s’est dit qu’il avait un coup médiatique à jouer. Il l’a préparé et exécuté. Très honnêtement, je ne connais pas un politique qui ne reconnaisse pas que c’est un bon coup politique pour lui.
Au-delà de se replacer au centre du débat politique, n’est-ce pas une façon d’attaquer ses opposants, notamment Les Républicains ?
C’est une bonne manière de faire disparaître Les Républicains. Le risque pour Emmanuel Macron était que Les Républicains commençaient à avoir une importance dans le débat, via le vote sur le pass sanitaire et les prises de positions de Valérie Pécresse. Il fallait empêcher LR de retrouver une place, une voix et d’être audible dans certains débats.
N’est-ce pas également une façon de détourner l’attention portée à certains sujets sensibles ?
C’était clairement une diversion. La rentrée scolaire a été un fiasco très lourd pour le gouvernement. L'annonce du protocole dévoilée la veille a été extrêmement mal vécue par la communauté concernée.
Cette opération avait sûrement pour but également de faire diversion par rapport à la hausse spectaculaire du nombre de cas de Covid-19 en France.
Considérez-vous que son opération est réussie ?
Elle l’est mais sur le court-terme. Ce que l’on ne sait pas ce sont les effets de cette sortie sur la perception de sa personnalité et de sa cohérence. On ignore également l’impact qu’aura cette phrase sur la vision des Français sur une politique qui est devenue inefficace et pas vraiment utile finalement.
Était-il sincère ?
Il y a certainement une part de conviction. Il est sûrement convaincu que le vaccin est la solution face à la crise sanitaire.