En Guadeloupe, un mouvement d'opposition à la vaccination obligatoire des soignants et au pass sanitaire a dégénéré en une crise sociale qui secoue toute l'archipel caribéen. Emmanuel Macron s'inquiète d'une situation «très explosive». La situation point par point.
Un appel à la grève et des nuits d'émeutes
Tout a commencé par un appel à la grève, lancé la semaine dernière par un collectif d'organisations syndicales et citoyennes pour protester contre la vaccination obligatoire des soignants et l'interdiction d'exercer qui en découle. Après des manifestations au CHU de Pointe-à-Pitre, la grève s'est propagée à d'autre secteurs comme l'éducation, l'hôtellerie-restauration mais aussi les pompiers.
Petit à petit, des violences urbaines sont venues s'ajouter à la gronde sociale : incendies, pillages de magasins alimentaires et de pharmacies, tirs à l'arme à feu contre les forces de l'ordre... Malgré l'imposition vendredi dernier d'un couvre-feu de 18h à 5h du matin, les émeutes se poursuivent encore ce mardi 23 novembre.
Nouveaux magasins pillés à pointe-à-pitre dans le quartier de l’Assainissement ce dimanche 21 novembre 2021 aux environs de 2h30 pic.twitter.com/rHWTzTbHpr
— Guadeloupe la 1ère (@guadeloupela1e) November 21, 2021
La progression des policiers et des secours est freinée par des barricades construites sur les routes à partir d'objets hétéroclites comme des tôles, des conteneurs ou même des arbres. Selon les gendarmes de Pointe-à-Pitre, ces barrages sont tenus par des groupes d'une vingtaine de personnes qui peuvent se reformer quelques heures après avoir été dispersés. La préfecture de Guadeloupe pointe le rôle de «bandes organisées» qui recherchent «le chaos» tout autant que l'enrichissement.
L'agence régionale de santé (ARS) dénonce également des agressions de professionnels de santé. Au total, le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a comptabilisé «plus de 90 interpellations» et «plus de 60 gardes à vue».
La réponse ferme du gouvernement
Gérald Darmanin a annoncé samedi l'envoi d'une cinquantaine de membres du GIGN et du Raid, expliquant vouloir envoyer un «message» de «fermeté de l'Etat». Ce dimanche, les forces de l'ordre ont commencé le démantèlement des barrages.
Depuis Amiens (Somme), Emmanuel Macron a appelé dimanche à «ne rien céder au mensonge et à la manipulation». «On ne peut pas utiliser la santé des Françaises et des Français pour mener des combats politiques», a-t-il affirmé, en dénonçant ceux qui cherchent «à utiliser ce contexte» sanitaire à leur profit.
Les violences «n'ont rien à voir avec les revendications sanitaires», a renchéri ce lundi le ministre des Outre-mer Sébastien Le Cornu, pour qui la priorité est de «répondre à ces troubles à l'ordre public».
Après une réunion avec des élus de Guadeloupe, Jean Castex a annoncé lundi soir la création d’une «instance de dialogue» afin de «convaincre et d’accompagner individuellement, humainement» les professionnels concernés par l’obligation vaccinale. Des annonces qui ne calment pas la colère sur place.
A L'ORIGINE DE LA CRISE, la défiance vaccinale et des fractures sociales
La campagne de vaccination contre le Covid-19 peine à convaincre sur l'île, pourtant frappée de plein fouet par une quatrième vague épidémique cet été. A date du 16 novembre, seuls 46% des Guadeloupéens majeurs ont reçu au moins une dose de vaccin, selon l'ARS, contre 76% en moyenne en France métropolitaine. Du côté des soignants, 85% d'entre eux sont vaccinés mais «des poches de résistance» subsistent, regrette l'ARS.
La Guadeloupe, et plus globalement les Antilles, sont marquées par une forte opposition au vaccin qui peut s'expliquer par la défiance à l'égard des autorités locales et la circulation abondante de fausses informations sur les réseaux sociaux. Mais le phénomène prend aussi ses racines dans le passé. Le scandale du chlordécone, ce pesticide cancérigène utilisé dans les bananeraies antillaises pendant des dizaines d'années avant d'être interdit, a rendu inaudible la parole des autorités publiques.
Patrick Karam sur la crise en Guadeloupe : «Les jeunes sont obligés d'aller ailleurs parce qu'il n'y a pas de travail (...) Ils ne veulent pas vivre de chèques, ils veulent qu'on leur permette de rester chez eux et vivre» #Punchline pic.twitter.com/Cvb2jlS5FZ
— CNEWS (@CNEWS) November 20, 2021
La crise sanitaire révèle enfin «la profondeur des souffrances, des inégalités, de la pauvreté et de l'exclusion subies par la population», selon les mots de Maïté Hubert M'Toumo, secrétaire générale de l'Union générale des travailleurs de Guadeloupe. Le signe d'une crise tout autant sociale que sanitaire.