Dans son édito de ce jeudi 28 octobre, Paul Sugy, journaliste au Figaro, se penche sur l'analyse politique de Raphaël Llorca qui compare la stratégie d'Eric Zemmour aux séries Netflix.
Quel point commun entre Squid Game et Eric Zemmour ? C’est la question que se pose un jeune et talentueux analyste politique, Raphaël Llorca, que l’on connaissait déjà pour son décryptage précis du marketing politique inventé par Emmanuel Macron. Cette fois le doctorant en philosophie publie pour la Fondation Jean Jaurès une analyse intitulée «la secousse Macron», et c’est très éclairant.
L’auteur relève que la politique, depuis longtemps déjà, joue pour de nombreux français le rôle d’un feuilleton. Il y faut des protagonistes connus, un décor familier, des habitudes et des péripéties ordinaires. Mais rien ne fonctionne sans un élément perturbateur, une «disruption» pour employer le vocabulaire contemporain de l’analyse du schéma narratif. Les Français auraient d’autant plus volontiers attribué ce rôle à Éric Zemmour que le schéma narratif précédant son arrivée était celui d’un pays, écrit Raphaël Llorca, «bloqué dans une sorte de situation initiale interminable saturé de discussions autour du R0, des masques et des vaccins».
L’auteur explique par ailleurs, même si à vrai dire on commençait à s’en douter, que l’on ne fait plus de campagne politique comme avant, et cite quoi qu’il m’en coûte de devoir le dire le bon vieux schéma médiatique traditionnel de lancement de campagne dont plusieurs rivaux de Zemmour à droite se sont encore emparés : conférence de presse, annonce exclusive de candidature au Figaro, et un petit coucou à la télé au journal de 20h…
Une remarque, simplement, à ce stade : qu’il en aille d’une campagne électorale comme d’un scénario Netflix, voilà ce qu’un autre candidat avait compris en 2017, et cela lui avait plutôt porté chance. Or pour l’heure Emmanuel Macron réserve ses coups pour plus tard, mais il sait lui aussi que pour l’emporter, il faut casser les règles et renverser l’échiquier…
Un style beaucoup plus provocateur pour Eric Zemmour …
C'est également la thèse de Raphaël Llorca : le «séisme Zemmour», ce serait aussi le choix décomplexé de la radicalité.
C’est intéressant d’ailleurs car l’auteur se risque à une décomposition des idées politiques en trois camps, celles modérées, celles «ni modérées ni radicales» (que Raphaël Llorca n’a pas eu le courage d’appeler «tièdes») et celles radicales. Il y aurait selon lui 15 % d’électeurs qui se reconnaitraient dans le premier camp, 50 % dans celui des tièdes et 30 % enfin dans le choix de la radicalité, ceux qui souhaitent un changement radical de système économique ou social, de politique migratoire…
Trois remarques tout de même. D’une part le clivage entre modérés et radicaux est une initiative d’Emmanuel Macron : c’est lui qui a le plus intérêt à tracer les limites d’un cercle de la raison, dont il serait le centre et le leader naturel et dont la plupart des autres grands candidats seraient exclus.
D’autre part, aujourd’hui la radicalité est une valeur ressource en politique, tous les candidats s’en réclament. Emmanuel Macron lui-même avait une approche de la question des retraites, du service public ou même aujourd’hui sur des sujets régaliens qui se veut radicale dans le ton et la forme.
Enfin, c’est le mot même qui me gêne : on emploie trop souvent à tort «radical» au sens d’extrême, alors que la «radicalité» renvoie à une cohérence d’ensemble, une conformité qui puise jusqu’aux racines. En politique, cela devrait plutôt être une vertu.
jusqu’où cette stratégie «Netflix» est-elle efficace ?
C’est devenu un lieu commun du commentaire journalistique : Zemmour a remplacé, dans le petit huis clos des obsessions médiatiques du moment, le coronavirus. Et, cause ou conséquence de cela, c’est assez vrai aussi dans les conversations des gens.
Donc ça marche pour faire parler de soi… Eric Zemmour est devenu, peut-être en partie malgré lui , le cavalier mystérieux d’une chevauchée fantastique dont chacun des soubresauts est abondamment commenté, décrié, moqué, détourné, analysé, scruté, dénoncé. Il y a quelque chose de théâtral dans cette destinée, et au fond on se souvient à cette occasion que la politique est peut-être l’une des dernières grandes aventures contemporaines qu’il soit encore possible de vivre.
D’ailleurs, 1 électeur sur 5 parmi le potentiel électoral de Zemmour était abstentionniste en 2017.