Elles pourraient être parmi les derniers gratte-ciels à être construits à Paris. Les tours Duo percent désormais dans le ciel du sud-est de la capitale alors que les travaux, aussi titanesques que complexes, s'engagent dans leur dernière ligne droite. Cnews a pu visiter le chantier mardi 1er décembre, environ un an avant sa fin.
Lorsqu'elles seront achevées, fin 2021, ces «tours jumelles à la française» installées aux confins du 13 arrondissement, entre le périphérique et les maréchaux, entreront dans les livres des records parisiens. Culminant à 180 mètres, le plus grand des deux buildings, pour l'instant appelé «Duo Est», sera alors le troisième plus grand édifice de la capitale. Il ne sera dépassé que par les tours Eiffel (324 m) et Montparnasse (210 m).
Ce «chantier marathon» est désormais avancé «aux trois-quarts», confie, sous le ballet incessant de trois immenses grues, Audrey Camus, responsable du projet chez la société immobilière Ivanhoé Cambridge, qui le finance. A terme, ces 105.000 m2 de construction, imaginés par le célèbre architecte Jean Nouvel, accueilleront une majorité de bureaux, mais aussi un hôtel et un restaurant.
Comme beaucoup d'autres, la tâche a été ralentie par le Covid, en particulier pendant le premier confinement. «Mais ils ne se sont jamais arrêtés», souligne Didier Brault, architecte en charge du projet chez Jean Nouvel. Le site est une fourmilière où plus de 600 personnes œuvrent au quotidien en vitesse de croisière, contre seulement une centaine de travailleurs en mars-avril. Tout en veillant au respect du protocole sanitaire, le nombre d'ouvriers devrait bientôt monter à 1.000 au maximum. De quoi mettre les bouchées doubles pour tenir les délais.
Des fondations à 50 mètres de profondeur
Les travaux pour faire sortir de terre les tours Duo ont été lancés en avril 2017. Et pendant plus de 18 mois, le travail s'est d'abord déroulé hors de vue, sous la surface, pour creuser des fondations à plus de 50 mètres de profondeur. Un premier défi technique, tant la terre parisienne est parsemée de tuyaux, réseaux ou tunnels. Surtout dans une terre gorgée d'eau, le lieu se trouvant à quelques encablures de la Seine. Désormais, sous les immeubles, 9 étages de sous-sols sont en cours d'aménagement pour proposer 500 places de parking.
Début 2019, une fois leurs bases solides, les deux édifices ont alors pu s'élancer vers le ciel. Et ils dévoilent désormais une architecture surprenante, avec presque toutes leurs façades penchées. Leurs inclinaisons, toutes différentes, peuvent aller jusqu'à 5 degrés. Soit davantage que la tour de Pise (4,5 degrés). Un choix atypique qui, sur le plan esthétique, permet aux tours Duo «d'apparaître dans la perspective de l'Avenue de France, et de refléter leurs environs, créant ainsi une dynamique sur leurs façades», développe Didier Brault, une épaisse barbe brune et grise débordant de son masque. Et celui-ci de rassurer : des études ont été menées pour l'assurer que les reflets du soleil n'éblouiront pas les conducteurs sur le périph'.
D'autre part, dans une démarche environnementale «ambitieuse», l'isolation de ces façades est renforcée sur les plans thermique et sonore. Elles arborent en effet une «double peau» : deux couches de vitres, plus ou moins épaisses suivant les endroits, séparées par un mètre de vide. Tandis que les rayons du soleil sont réfractés, l'air circule entre les deux parois, empêchant la chaleur de pénétrer dans le bâtiment. L'un des côtés de la «tour Ouest» sera d'ailleurs en partie recouvert de végétation.
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Des efforts ont également été réalisés à l'intérieur des bâtiments. Un système de refroidissement interne serpente dans les plafonds de chaque étage, avec des tuyaux contenant de l'eau fraîche, approvisionnés par le réseau de froid parisien Climespace. Des dispositifs qui devront permettre «d'utiliser le moins de climatisation possible l'été», explique Didier Brault, l'architecte en charge chez Jean Nouvel. En outre, les «eaux grises», issues des lavabos ou des douches, seront réutilisées grâce à «un système quasi-inédit en France» pour alimenter les toilettes ou l'arrosage.
Sur les toits, 1.500 m2 de panneaux photovoltaïques devraient fournir 1% de la consommation électrique des tours et produire de l'eau chaude solaire. Enfin, au pied des gratte-ciels, un jardin de 5.800 m2 est en cours d'aménagement, avec la plantation d'une centaine d'arbres. Un belvédère a également été construit par-dessus les rails venant d'Austerlitz. Ces espaces verts seront accessibles au public, tout comme un auditorium de 270 places situé au rez-de-chaussée. Hors des horaires de bureau, les riverains pourront en effet y tenir des réunions de quartier ou y organiser des événements.
Dans la «tour Ouest», la plus petite, un hôtel et un restaurant signés Philippe Starck viendront se nicher dans les dix derniers étages et au sommet. A plus de 100 m du sol, les clients pourront alors profiter de l'une des plus belles vues sur Paris, notamment depuis un rooftop :
Vue depuis le 30e étage pic.twitter.com/3MpxlKvMZV
— Lucas Biosca (@LucasBiosca) December 2, 2020
La livraison des locaux est prévue progressivement entre septembre et décembre 2021. Le locataire des bureaux pour un bail de dix ans, la banque Natixis, aménagera les vastes étages à sa convenance pour y installer son nouveau siège, ainsi que celui du groupe BPCE. Les premiers occupants devraient faire leur arrivée en avril 2022. Ils pourront notamment venir par les transports en commun, avec un arrêt du tram T3 et la station BNF de la ligne 14. Avant une future station de la ligne 10 prolongée, d'ici à 2030. Dans les tours, 2.200 m2 de locaux sont également prévus pour accueillir les vélos.
Les 7.000 emplois prévus dans les tours Duo participeront ainsi au rééquilibrage de l'activité économique entre l'ouest et l'est de la région parisienne. «Il y avait la nécessité d'un recentrage à l'est pour les emplois tertiaires, face à l'importance du quartier de La Défense. Et leur construction s'inscrit dans un quartier déjà dynamique, avec beaucoup d'entreprises installées le long de l'avenue de France», argumente avec enthousiasme Audrey Camus, d'Ivanhoé Cambridge, malgré les bourrasques glaciales qui s'engouffrent dans la construction.
La dernière des tours ?
Ces deux gratte-ciels, dont le coût de construction est estimé à environ 500 millions d'euros, pourraient être parmi les derniers à voir le jour dans la capitale. Le climat politique actuel à Paris semble en effet peu favorable à la construction d'autres géants de béton et d'acier.
Après des années de conflit, et la validation du permis de construire par la justice en 2019, le chantier de la tour Triangle est censé être bientôt lancé à la porte de Versailles (15e). Mais le dossier semble aujourd'hui au point mort. Quant au projet de Bercy-Charenton (12e) et ses six tours, il sera «rediscuté» pour être «dédensifié», en vertu de l'accord électoral entre la maire de Paris Anne Hidalgo et ses alliés écologistes. Dans une ville en manque cruel de logements, la construction de nouveaux bureaux est également remise en question par certains. Surtout avec le développement du télétravail provoqué par le Covid.
Des interrogations qui ne font toutefois pas douter Audrey Camus sur l'avenir des tours Duo : «nous ne pensons pas du tout que le coronavirus fera disparaître le bureau, mais il va rendre plus exigeant sur la qualité et la flexibilité». Et celle qui est aussi vice-présidente développement et gestion d'actifs Europe chez Ivanhoé Cambridge d'anticiper : «les confinements ont montré qu'on avait besoin de voir nos collègues. Il faudra moins de bureaux ''classiques'' et plus de salles de réunions et de lieux d'échanges».