Comment savoir si l'on est engagé dans une relation abusive ? La question peut surprendre et pourtant les comportements toxiques s'installent parfois de manière si insidieuse qu'il peut être difficile de les repérer à temps.
A l'occasion de la journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes, ce 25 novembre, Charlotte Broussoux, psychologue clinicienne qui travaille notamment au commissariat du 18e arrondissement de Paris, identifie les signes qui doivent alerter.
Le refus du dialogue
Dans un couple «on peut être en conflit, on n'est pas obligé d'être d'accord sur tout» et on peut même, parfois, «se mettre très en colère», estime Charlotte Broussoux. Mais à condition que chacun ait la possibilité de faire entendre ses arguments, sans être dénigré ou rabaissé.
«La colère n'est pas là pour humilier l'autre mais pour évacuer sa propre émotion personnelle, développe la psychologue. A partir du moment où on n'est plus dans le débat, où l'on n'utilise plus de vrais arguments mais des prétextes fallacieux pour couper court tels que "tu es hystérique, je ne parle pas avec toi", il y a un refus de la discussion».
Cette «fin de non-recevoir» est le signe d'une communication problématique lorsqu'elle stoppe tout dialogue. Si le discours de la victime est systématiquement jugé illégitime, il n'est jamais entendu.
La volonté de contrôle
Les relations abusives sont très souvent marquées par des comportements intrusifs. Le conjoint veut contrôler les déplacements, les fréquentations, les vêtements... Charlotte Broussoux se souvient par exemple d'une très jeune patiente qui devait chaque jour envoyer une photo de sa tenue pour que son petit ami puisse juger si celle-ci était «correcte».
Le contrôle peut ainsi s'installer de manière frontale, mais aussi être dissimulé. Dans ce cas il passe parfois par des technologies plus ou moins avancées : logiciels espions, géolocalisation, piratage de boîte mail... ou par des prétextes qui entretiennent une surveillance constante qui n'est pas tolérable. «Il y a une intimité de couple, mais on a aussi droit à sa propre intimité, chacun de son côté, que l'on choisit ou non de partager», précise la psychologue.
«J'ai connu une jeune mère de famille qui demandait parfois à son compagnon de garder leur enfant pour passer une soirée avec ses amies. Il la harcelait par téléphone pendant toute la soirée, par l'intermédiaire des enfants : "où est son pull ?", "est-ce qu'il a pris son goûter ?"... Au final elle était incapable de profiter du moment.»
Bien souvent, la jalousie est avancée pour justifier certains de ces comportements. Mais selon Charlotte Broussoux «ce n'est pas une vraie jalousie. On se sert de l'idée de la jalousie pour être violent». Si bien qu'il n'est pas rare que la victime subisse les foudres de son compagnon, même quand elle tente de respecter ses exigences.
«Une femme me racontait que son mari lui interdisait d'être encaissée par le caissier d'un magasin. Si elle passait à sa caisse il devenait fou, mais si elle l'évitait il considérait que c'était la preuve qu'il y avait quelque chose de louche : quoi qu'elle fasse, ça ne va pas».
L'isolement
La plupart des femmes victimes de violences sont isolées. Cela peut être parce que leur conjoint leur interdit purement et simplement de sortir, mais cela peut aussi reposer sur un sentiment de honte.
«Il y a différents cas, explique Charlotte Broussoux. Le conjoint peut avoir l'habitude d'humilier la victime devant ses amis et sa famille. Ça peut provoquer une dispute entre lui et les proches de sa compagne, ce qui fait qu'ils ne pourront plus se rencontrer, mais la victime peut aussi décider d'elle-même de rompre le contact parce qu'elle est mal à l'aise et ne veut plus se retrouver dans cette situation».
Parfois, l'isolement est invisible. «Dans certaines relations abusives, le conjoint paraît bien sous tous rapports en public, tout le monde l'aime donc la victime ne peut pas l'accuser. C'est une autre forme d'isolement, elle continue de voir du monde mais n'a plus personne vers qui se tourner car son conjoint est partout et aimé de tous».
La culpabilisation
Charlotte Broussoux estime que la culpabilisation est «le principe même de la violence», quelle que soit la nature de la relation. «Quelqu'un qui est violent ne reconnaît jamais sa violence. L'agresseur ne porte pas sa culpabilité, il la fait porter à la victime : "t'as vu comment tu t'habilles ?". Il dira toujours à l'autre qu'il l'a bien cherché ou mérité, qu'il l'a poussé à bout».
Dans nos relations aux autres «on peut tous être maladroits», concède la psychologue, mais lorsque nos propos ou nos actes dérangent ou mettent l'autre mal à l'aise, «on est censé s'excuser, on s'adapte à sa réaction». Les agresseurs, eux, «font l'inverse : ils retournent la situation» contre la victime.
Résultat : cette dernière finit par penser que c'est de sa faute. «Toutes celles que je rencontre ont l'impression que si la relation ne fonctionne pas c'est à cause d'elles, assure Charlotte Broussoux. Elles pensent devoir porter leur couple».
La peur
Il est parfois difficile de distinguer les situations abusives des problèmes classiques que peut rencontrer un couple. Mais s'il est une émotion qui n'y a pas sa place et doit immédiatement être considérée comme un signal d'alerte, c'est bien la peur.
«On peut avoir peur de perdre l'autre parce qu'on tient à lui mais avoir peur DE l'autre ce n'est pas normal du tout, c'est qu'il y a vraiment un souci.» Dans une relation abusive, la peur peut également être utilisée comme un moyen de pression ou de chantage. Cela peut prendre la forme de menaces : «Si tu ne fais pas ça, je te quitte, illustre Charlotte Broussoux. Si tu ne veux pas faire l'amour avec moi, je vais voir ailleurs, par exemple».
La psychologue insiste sur le fait qu'une relation peut être abusive sans qu'il y ait de violences physiques. Pour savoir si l'on est dans ce cas, elle conseille d'écouter son ressenti. «Une claque c'est un fait qui n'est pas discutable mais, avant cela, il y a le sentiment d'être humiliée, rabaissée : ce n'est pas normal. Il ne s'agit pas de scruter ces signes un par un mais de détecter un ensemble de choses qui posent problème. Il faut se faire confiance»
Vers qui se tourner ?
Lorsqu'on pense être engagée dans une relation abusive, le plus important est d'en parler car ce genre de lien toxique se nourrit du silence. «Il ne faut pas avoir peur de confronter son point de vue avec celui de quelqu'un d'autre, de faire part de ses doutes, assure la psychologue. Personnellement je conseille de faire confiance aux gens qu'on aime, ceux qui pourront nous écouter et sans doute soutenir notre ressenti. Souvent, ils se rendent compte que quelque chose ne va pas».
Spécialement formés et à votre écoute 24h/24, des policiers et des gendarmes vous conseillent et vous accompagnent via un tchat
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Si ce n'est pas possible, il existe d'autres ressources comme son médecin traitant, s'il est à l'écoute, ou les associations d'aide aux victimes dont les membres sont formés pour gérer ce genre de situations. Une liste de contacts possibles est disponible sur arretonslesviolences.gouv.fr.
Le 3919, numéro gratuit et anonyme dédié aux violences faites aux femmes, peut être joint du lundi au samedi, de 9h à 19h. Un tchat «Violences sexuelles et sexistes» est également à disposition des victimes. Il permet d'entrer en contact direct avec la police ou la gendarmerie, en ligne. Accessible 7 jours sur 7 et 24h sur 24, ce service permet d'échanger avec un agent spécialement formé afin de signaler des faits de violence ou simplement demander des informations.
Enfin, pour celles qui appréhendent le contact avec les forces de l'ordre, Charlotte Broussoux rappelle que des permanences d'assistantes sociales ou de psychologues existent dans les commissariats. «Ça peut-être une porte d'entrée, un premier pas pour être accompagnée et soutenue, propose la jeune femme. La parole c'est la base, le jour où on brise le silence on se sent moins seule et c'est là qu'on commence à s'en sortir».