Entre volonté d'apaisement et rapport de force, le psychodrame de la démission de Christophe Girard pourrait laisser des traces dans l'alliance entre la maire de Paris Anne Hidalgo et les écologistes.
En cette dernière semaine de juillet, Anne Hidalgo est l'une des seules élues encore présentes à l'hôtel de ville. «Pour continuer à travailler», selon son entourage, car elle a du pain sur planche, notamment sur le plan politique.
Une fois terminé l'éprouvant premier conseil de Paris de cette nouvelle mandature, vendredi 24 juillet, les alliés socialistes et écologistes se sont séparés pour partir en vacances chacun de leur côté. Priorités : recharger les batteries après une campagne des municipales éreintante et «redescendre en tension» à la suite du départ de l'adjoint à la culture.
l'heure est à la détente
Chacun essaye en effet de recoller les morceaux de l'alliance rose-verte, après la manifestation féministe polémique, puis la démission de l'adjoint à la culture jeudi 23 juillet pour ses liens supposés avec Gabriel Matzneff, écrivain suspecté de pédocriminalité.
«Il n'y a pas de problème dans la majorité, David Belliard (le leader des verts parisiens) a été dans une forme d'apaisement, le dialogue n'est pas rompu. Il s'agit d'un événement périphérique», assure à CNews Emmanuel Grégoire, premier adjoint de la maire socialiste.
Les écologistes sont sur la même ligne : «Nous ne sommes pas en confrontation avec Anne Hidalgo. Autrement, notre objectif serait de sortir de la majorité. Elle est notre maire», confirme Fatoumata Koné, présidente du groupe EELV au conseil de Paris. Pour elle, l'affaire Girard est plutôt «un point de crispation personnel et émotionnel. Il y a des liens affectifs entre Christophe Girard et Anne Hidalgo».
Quelques minutes après l'annonce de la démission de son adjoint, Anne Hidalgo tweetait son «écoeurement» et assurait son «ami» Christophe Girard de «tout son soutien».
Je suis écœurée. Dans quelle démocratie vivons-nous où le droit est piétiné par la rumeur, les amalgames et les soupçons ? Tout mon soutien à mon ami Christophe Girard.
— Anne Hidalgo (@Anne_Hidalgo) July 23, 2020
Le lendemain, vendredi 24 juillet, la maire annonçait même saisir la justice contre «les graves injures publiques» prononcées lors du rassemblement féministe, notamment en référence à la banderole «bienvenu à pedoland» déployée par des manifestants.
Des réactions qui peuvent passer pour une marque de colère d'Anne Hidalgo face au traitement «injuste» visant son compagnon de route à la mairie de Paris depuis 2001. Un article de Mediapart a toutefois révélé que la maire avait déjà connaissance depuis mercredi 22 juillet de trois notes de frais de Christophe Girard payées par la mairie pour des déjeuners avec Gabriel Matzneff.
«Des méthodes totalitaires»
Malgré ces informations, dans le camp de la maire, on préfère pointer plutôt la responsabilité d'Alice Coffin et de Raphaëlle Rémy-Leuleu, les deux conseillères écologistes de Paris et militantes féministes à l'origine des protestations contre l'adjoint à la culture.
«Il s'agit d'un problème de valeurs et de principes, un enjeu de liberté. Des gens qui sont soi-disant vos alliés, du moment que vous ne cédez pas immédiatement à leurs injonctions morales, organisent une manifestation avec des slogans appartenant plutôt à l'extrême droite. Si vous acceptez ces méthodes totalitaires, vous êtes foutus», assène Rémi Féraud patron des socialistes parisiens.
En représailles, Anne Hidalgo a décidé d'exclure les deux jeunes élues EELV de sa majorité. Mais s'ils ont condamné les slogans insultants, les verts font bloc et ne veulent pas lâcher leurs consoeurs. L'ensemble du groupe reste sur sa ligne officielle, après la signature commune d'un précédent courrier destiné à Anne Hidalgo demandant la suspension de Christophe Girard.
Dans les faits, l'équilibre reste néanmoins difficile à trouver pour les verts, entre les tenants d'une ligne «réformiste» au sein de la majorité et de nouveaux éléments plus radicaux. En premier lieu pour David Belliard, ancien candidat EELV aux municipales à Paris et désormais puissant adjoint aux transports d'Anne Hidalgo.
Ces derniers jours, il ne desserrait pas les dents à l'évocation de Christophe Girard, préférant esquiver les questions. Ironie du sort, alors qu'il quittait l'hôtel de ville en vélo jeudi 23 juillet, David Belliard a été immobilisé d'interminables minutes par un feu rouge rue de Rivoli juste devant... la manifestation féministe contre l'adjoint à la culture.
Anne Hidalgo tape du poing sur la table
«De toute façon, la majorité municipale n'est pas un concept juridique fixe, c'est juste une interprétation politique», glisse Rémi Féraud. Et ce proche de la maire de reprendre avec détermination : «Nous avons à affirmer fortement nos positions, cela a servi de coup de semonce, qui a renforcé l'autorité d'Anne Hidalgo. Mais les choses ne vont pas s'envenimer, ce n'est pas le début d'une guéguerre interne».
Et pour cause, si elle a montré les muscles, la socialiste n'a pas intérêt à se priver de soutiens. Sa marge de manoeuvre est relativement réduite au conseil de Paris. Son propre groupe (Paris en Commun) compte 56 conseillers, auxquels s'ajoutent les 17 alliés communistes et de Génération.s. Un chiffre insuffisant pour atteindre seuls la majorité de 82 voix sur 163 au total.
Les écologistes et leurs 23 élus (contre 11 à la fin de la précédente mandature) mettent donc en avant le groupe «charnière» qu'ils représentent, susceptibles de faire pencher la balance. Dans l'opposition, Les Républicains disposent de 55 élus, tandis que LREM et le Modem en comptent 5 chacun.
Les Verts au bras de fer ?
«Face aux défis à venir, de la crise sanitaire et économique du coronavirus ainsi que le changement climatique, on ne peut pas se permettre de ne pas avoir une large majorité. Donc tout le monde va devoir faire des efforts pour passer au-delà. Cela fait partie vie politique», résume prosaïquement un vert parisien.
Emmanuel Grégoire cherche lui-aussi à isoler le cas Girard. «Nous allons travailler à converger sur les divergences qu'on connaît déjà. Mais elles ne sont pas du tout du même ordre, il s'agit de politique et de compétences de la ville. Depuis 2001, nous avons toujours eu des relations exigeantes avec les verts, et nous avons toujours trouvé des sorties par le haut», veut croire le bras droit d'Anne Hidalgo.
A la différence que la situation politique a évolué avec les dernières élections municipales, rappelle Fatoumata Koné, la présidente du groupe écologiste : «A chaque point de désaccord, il y aura négociation et, peut-être, confrontation au conseil de Paris. Comme depuis 2001, sauf que le rapport de force est différent. On a désormais davantage de poids».
Or, d'éventuelles dissensions au sein de la majorité pourraient se solder par des votes très compliqués pour la maire socialiste, à propos de sujets qui pourraient faire converger les écologistes et l'opposition. En 2014 déjà, un vote commun de circonstance entre élus EELV et UMP avait fait vaciller le projet de tour Triangle porté par Anne Hidalgo.
La droite a d'ailleurs dans son viseur «l'opposition aux projets de densification urbaine» et «la transparence sur les finances de la ville», selon Nelly Garnier, élue LR du 11e arrondissement. Et cette proche de Rachida Dati annonce la couleur : «Si nous devons être aux côtés des verts sur des positions communes, nous le serons. Nous n'avons jamais été sectaires».
Le premier round d'observation pendant lequel chacun des deux alliés cherche à prendre la mesure de l'autre semble donc déjà achevé.